Ils ont de quoi passer pour des huluberlus : des pêcheurs qui relâchent tous leurs poissons, vous en connaissez beaucoup ? Il faut dire que Yoan et Sibylle, un couple de Haut-Alpins trentenaires, sont pêcheurs à la mouche, une technique qui demande des trésors de patience, d’observation et de connaissance de la faune aquatique. Le « no-kill », soit la graciation du poisson, est au cœur de cette communauté, adepte du beau geste, et surtout, passionnée de nature.
Ce couple a baladé leurs cannes et leurs leurres un peu partout dans le monde : Slovénie, Maroc, Bosnie, Thaïlande, Croatie… À Mon Quotidien Autrement, nous voulions en savoir plus sur cette pratique, nous avons donc posé quelques questions à Yoan, kiné à la ville, et pêcheur passionné pendant son temps libre.
Qu’est-ce qui vous plaît dans la pêche à la mouche ?
C’est une pêche qui demande beaucoup d’observation pour approcher les poissons sans les effrayer, comprendre où ils sont postés, ce qu’ils sont en train de manger… Et du coup, la connaissance de la rivière, des mœurs des poissons, des insectes et de l’ensemble du milieu est inévitable.
Comme on est obligés de se concentrer, on oublie ce qui nous entoure, c’est un peu comme une bulle, un super moyen de penser à autre chose que le quotidien. On se détend, on se concentre sur des choses calmes et palpitantes : la surface de l’eau, les insectes qui volent, le geste à effectuer, notre mouche…
Et puis c’est une pêche où l’on n’est jamais assis. On n’attire pas le poisson à nous, il faut aller le chercher. On se promène toute la journée le long des lacs et des rivières. L’équipement tient dans un sac à dos, ça se prête donc très bien à une pêche itinérante et facile à mettre en œuvre. Et puis une fois en action, c’est super esthétique !
Il parait que la technique du lancer est difficile.
C’est une pêche assez technique : la technique de lancer, propre à la mouche, demande des années d’apprentissage. Il y a aussi le montage de la mouche, la composition de ligne… On apprend et on progresse toute sa vie.
En fait, il y a tout un univers autour de la pêche à la mouche, une ambiance que j’aime vraiment : l’amour des belles choses, une culture de la contemplation, le voyage, la protection des milieux, un petit côté vintage, le « no-kill ».
Le « no-kill », soit le fait de ne pas tuer le poisson ?
Oui, relâcher son poisson, sans l’avoir abîmé, c’est un point essentiel pour nous. Comme elle n’a pas de saveur, dès que le poisson prend la mouche, il se rend compte de la supercherie et la recrache immédiatement. Il ne l’avale pas, donc on pique toujours le poisson sur le bord de la bouche. Pour peu que l’on écrase l’ardillon et qu’on évite de trop le sortir de l’eau, on minimise au maximum le mal qu’on lui fait. Et ça, c’est vraiment hyper important pour nous.
Donc la « graciation » est au cœur de la pêche à la mouche.
Oui, sans aucun doute ! Je ne connais pas de bon moucheur, vraiment passionné, qui garde son poisson. Dans ce milieu, on se retrouve vraiment entre passionnés de nature, profondément engagés pour la protéger. D’ailleurs il y a énormément de projets de protection des rivières et des milieux aquatiques initiés ou soutenus par des pêcheurs à la mouche. Dans les pays anglosaxons, en Afrique, dans les Balkans… ils ont un vrai poids.
Être un pêcheur à la mouche, c’est être un défenseur de la nature ?
On développe une certaine fascination pour la rivière – de l’amour ? – c’est elle qui nous apaise, nous détend, nous fait rêver… Bref, on a envie qu’elle reste aussi belle qu’on l’a connue. Et on se rend rapidement compte que les rivières souffrent énormément. Quand j’étais plus jeune, les truites abondaient. Les soirs d’été, il y avait des éclosions d’insectes, on assistait à des frénésies alimentaires : des poissons les gobaient de partout. Aujourd’hui on en voit quasiment plus !
Qu’est-ce qui est responsable de ces changements ?
Les pesticides et autres pollutions qui détruisent les insectes aquatiques quand elles ne détruisent pas les poissons eux-mêmes, mais aussi les barrages, les microcentrales que l’on voit fleurir de partout (lire à ce sujet l’article du site Reporterre), les sécheresses à répétition, le recalibrage des cours d’eau… Toutes ces choses font énormément de mal aux rivières : cela empêche les poissons de migrer sur leurs lieux de ponte, détruisent les frayères, privent les poissons de nourriture, favorisent le colmatage des cours d’eau ce qui accentue encore les problèmes de reproduction des poissons et des animaux dont ils se nourrissent, dressent des obstacles qui empêchent la recolonisation des milieux dégradés où la vie de la rivière a disparu. Bref la liste est quasiment infinie !
Quels conseils donneriez-vous ?
Vous pouvez intégrer une association. Nous, nous sommes membres d’une Aappma, une association de protection des milieux aquatiques, avec laquelle on fait des opérations de nettoyage de cours d’eau par exemple. A votre échelle, mon conseil est : ne construisez pas de barrages, même ceux, tout petits, que l’on construit l’été en vacances. Ils constituent des barrières infranchissables pour certains poissons qui ne pourront pas se rendre sur leurs lieux de pontes. Ils favorisent également le réchauffement de l’eau et son appauvrissement en oxygène. Donc le soir en partant on détruit son barrage avant de quitter la rivière ! Et puis mettez vous à la pêche (à la mouche) : c’est une merveilleuse passion, qui permet de se reconnecter à la nature et de comprendre comment la protéger.
Toutes les photos nous ont été aimablement envoyées par Yoan Eynac, photographe et pêcheur à la mouche.