On l’achète et le prépare souvent sans réfléchir. Parce qu’il est peu cher et facile à cuisiner. La journaliste et chroniqueuse culinaire Mireille Sanchez s’est intéressée d’un peu plus près au poulet. Elle s’est même penchée sur le sujet durant sept ans, engloutissant plus d’une tonne de poulet et 3000 pages de documentation, pour donner naissance au Poulet voyageur. Un gros livre de cuisine (900 pages et 1000 recettes) de 2,7 kg. (1) « Le poids d’un bon poulet fermier », aime préciser Mireille Sanchez. On n’y trouve pas seulement des recettes, mais aussi tout plein d’anecdotes sur les races, l’histoire du poulet, ses origines géographiques. Son auteure nous en dit plus sur Gallus gallus, cette « star » qui « s’est arrangé[e] de tous les climats, s’est confondu[e] avec toutes les cultures, tous les cultes et a donné autant de lettres de noblesse aux cuisines bourgeoises qu’il a agrémenté les cuisines rurales et familiales ».
D’où vous est venu cet attrait pour le poulet ?
Je m’intéresse depuis longtemps à la provenance des ingrédients de la cuisine méditerranéenne. Un jour, des amis m’ont demandé d’où venait le poulet. Sur le coup, je n’ai pas su leur répondre. En rentrant chez moi, j’ai commencé à chercher et c’est devenu une addiction totale. J’y ai passé sept ans. Je me suis d’abord intéressée à l’animal, à son génome et je me suis rendue compte qu’il était un immense voyageur, qu’il était présent partout dans le monde. Qu’on le mangeait dans tous les pays, quelle que soit la religion, ou la classe sociale.
Comment le poulet a-t-il ainsi conquis le monde ?
Tous les poulets que l’on consomme aujourd’hui – quelques 200 races élevées pour être mangées – descendent de Gallus gallus, une race sauvage originaire d’Inde qui existait déjà il y a 8000 ans. 2000 ans plus tard, ce sont des navigateurs/cultivateurs/éleveurs australonésiens qui la ramènent sur leur pirogue en Océanie, où apparaît alors la domestication. De l’Océanie, l’animal passe ensuite par l’Amérique latine. Un os de poulet atteste d’ailleurs que des navigateurs polynésiens ont débarqué sur l’île de Pâques au 12e siècle après JC. C’est sur cette île du Pacifique que l’on a retrouvé le plus vieux poulailler au monde. En Europe, le poulet domestique arrive vers 700 ans avant JC. Il y gagne ses lettres de noblesse et fait son entrée dans la gastronomie. Enfin, il est arrivé dans les cuisines américaines, où il fait aujourd’hui son festival. A chaque nouvelle recette, on crée une compagnie et ses produits dérivés. Avec la mondialisation et le réchauffement climatique, il est désormais même présent chez les Inuits. Cela commence avec un élevage de poules ou des poulets domestiques, qui mangent les déchets et pondent des œufs.
Il est présent partout, mais partout il est cuisiné et préparé différemment. Quelles sont les distinctions les plus marquantes ?
Il existe d’innombrables façons de cuisiner le poulet. Je reçois aujourd’hui encore de nouvelles recettes toutes les semaines par mail ou par courrier : poulet Massala en Inde, rôti à la bière en Irlande et en Australie, cuisiné avec des coquillages et du poisson aux Caraïbes, farci avec des abats de brebis en Écosse, cuit à l’intérieur d’un agneau à la broche au Monténégro, bouilli avant d’être préparé dans bien des pays. C’est en fait le mode de cuisson qui distingue les grandes régions du monde. Aux États-Unis, il est rôti ou grillé, en Europe, il est rôti ou mijoté. En Asie et en Afrique, il est souvent bouilli avant d’être cuisiné. Les modes de cuisson sont souvent directement liées aux modes d’élevage.
Justement, quel regard portez-vous sur l’élevage des poulets à travers le monde ?
C’est surtout dans les pays riches que l’on trouve des races de poulets modifiées à force de sélections pour avoir des élevages plus grands, normés. En réalité, ce sont les Chinois qui, au 19e siècle, ont commencé à créer de nouvelles races. Des races géantes, grandissant plus vite et avec plus de viande à manger. Ces races sont ensuite arrivées en Europe et aux États-Unis. Pour autant, les petits élevages perdurent encore dans ces pays.
Et partout dans le monde, ou presque, on oppose poulet fermier et poulet industriel. En Afrique, par exemple, on oppose le « poulet bicyclette » au « poulet cadavre ». Le premier est local. Sa viande est souvent plus dure, est cuite plus longtemps, voire bouillie pour l’attendrir. Le « poulet cadavre » est quant à lui importé massivement d’Europe ou du Brésil et il arrive surgelé, déjà en morceaux.
Aujourd’hui, cependant, on assiste à une vraie prise de conscience. En Europe surtout. On tend à se rapprocher des circuits courts. On essaie de manger mieux ou du moins on apporte plus d’intérêt à l’animal que l’on mange.
(1) Le poulet voyageur. 14 octobre 2019. 35 euros. BPI Editions.