Faut-il vraiment faire une croix sur la viande ? Et peut-on réellement s’en passer ? Les réponses de Christian Rémésy, ancien directeur de recherche en nutrition humaine à l’Inrae et auteur de La nutriécologie.
Dans votre livre, vous développez le concept de nutriécologie. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Christian Rémésy : La nutriécologie est l’art de bien se nourrir tout en protégeant la planète. Et il est tout à fait possible de faire les deux en même temps. L’alimentation peut satisfaire à la fois la santé humaine et la santé environnementale. Nos choix alimentaires doivent avoir un sens profond, nutritionnel, social (on ne doit pas oublier que ce sont des agriculteurs qui produisent notre alimentation) et écologique. Il faudrait éviter de consommer les aliments qui résultent d’un dysfonctionnement, d’un oubli de l’un de ces aspects (souffrance animale, usage de pesticides…). Jusqu’ici, nous avons surtout été incités à faire des choix alimentaires égocentrés. « Mangez cinq fruits et légumes par jour ». « Ne mangez pas trop de charcuterie, c’est mauvais pour la santé ». Alors que l’alimentation participe à un équilibre global.
Comment s’inscrit notre consommation de viande dans cet « équilibre global » ?
Actuellement, notre objectif devrait être de réduire de moitié notre consommation de viande. Ce n’est pas tout à fait suffisant, mais ce sera déjà pas mal si on y arrive. Notre consommation de viande actuelle nous oblige à recourir à l’élevage industriel. Cela génère un énorme gâchis car nous sommes obligés de produire énormément de céréales pour nourrir ces animaux, d’importer du soja d’Amérique… C’est une chaîne nuisible. Ce n’est pas recevable sur le plan éthique. Sans réduire cette consommation de viande, on ne peut pas offrir à la population de la viande produite dans de bonnes conditions.
Quelle quantité de viande devrions-nous donc manger chaque jour ?
Cela signifie qu’il ne faudrait pas dépasser 2 % de produits animaux par jour dans notre alimentation, soit 10 à 15 % de nos apports journaliers totaux. La viande représente actuellement environ 30 % de ces apports caloriques.
Ne faudrait-il pas se passer complètement de viande ?
À quoi cela sert-il de se baser sur une utopie ? La population n’est pas prête à ça. Il faudrait déjà que les politiques se mouillent un peu et expriment clairement quelle est l’évolution souhaitable. Et un modèle avec une consommation de 2% de produits animaux par jour ne pose pas de problème. C’est un modèle soutenable. Par ailleurs, je trouve que les défenseurs d’un modèle végan trop strict n’aident pas. En allant trop loin, ils créent des classes alors qu’il faudrait une évolution qui rassemble l’ensemble de la population.
Quels produits animaux faut-il privilégier ?
Les œufs sont l’aliment de référence. Ils sont extraordinairement équilibrés, en particulier pour les enfants. C’est le produit animal le plus intéressant. Il a tout : protéines, vitamines… Surtout si l’alimentation de la poule est elle-même équilibrée. La poule nous rend directement son alimentation. Pour ce qui est des poissons, nous sommes déjà obligés de limiter notre consommation pour ne pas épuiser les ressources naturelles. Et les poissons d’élevage, qui sont souvent nourris avec des produits de la pêche ne règlent pas ce problème. Quant à la viande et la charcuterie, les conditions d’élevage constituent le plus gros problème. Il n’est pas recevable de consommer du poulet immature élevé aux antibiotiques. Nous mettons trop de temps à dénoncer cela. Réduire la consommation de viande est bénéfique sur le plan de l’empreinte carbone et sur le plan de la santé environnementale. Mais nous devrions également davantage diversifier notre alimentation, notamment avec des protéines végétales. Au lieu de 5 fruits et légumes par jour, nous devrions préconiser 8 produits végétaux par jour.
Les protéines végétales peuvent-elles remplacer les protéines animales ?
Je vais vous donner un exemple simple. Un poulet est nourri avec des protéines végétales (céréales et légumineuses). Il est capable de croître avec ces protéines. Les besoins du poulet et de l’homme sont équivalents en termes d’acides aminés essentiels (contenus dans les protéines). Ce que fait le poulet, l’homme peut le faire. Le danger provient d’une nourriture trop monotone. Si elle est bien diversifiée, les besoins sont toujours satisfaits.
Comment expliquer la difficulté à réduire notre consommation de viande, alors même que c’est bénéfique « pour la santé humaine et environnementale » ?
Il y a d’abord une résistance idiote. Celle véhiculée par les discours pseudo-scientifiques qui clament que réduire notre consommation de viande serait mauvais pour la santé. Il y a aussi une résistance culturelle. Il existe une certaine vision de la gastronomie selon laquelle un bon repas est un repas avec de la viande. Et que la garniture est finalement peu importante. Il y a aussi les habitudes familiales. Il existe également une résistance économique. Réduire notre consommation de viande va affecter ceux qui la produisent. Cela pose un problème de reconversion. Mais cette reconversion est possible. Il faudrait qu’elle soit soutenue par le gouvernement via des primes et un accompagnement.
J ai déjà réduit mais il m est difficile de contraindre mon environnement familial.et d autre part je ne suis pas bien initiée à une autre alimentation il me faut tout repenser !
Bonjour et merci pour votre commentaire. Effectivement, ce n’est pas facile de modifier ses habitudes de vie et celles de sa famille. On peut essayer par étape. Lorsque nous avons publié cet article, nous avons aussi mis en avant ce petit livre très bien fait et qui pourrait vous être utile : https://www.monquotidienautrement.com/livres/carole-ibrahima/