Des nichoirs à pipistrelles ou à abeilles sauvages, des gîtes pour chauves-souris arboricoles… Stéphane et Nathalie habitent à Fontvieille, près d’Arles, un petit village des Bouches-du-Rhône. Depuis 2017, dans leur atelier, La Détournerie, ils fabriquent et vendent des nichoirs écoresponsables et minutieusement pensés.
Comment est née La Détournerie ?
Voilà vingt ans que nous sommes travailleurs du bois (et passionnés par les oiseaux). Mon mari, Stéphane, est ébéniste, et je suis formatrice en agroécologie. Nous avons créé La Détournerie parce que je voyais bien que notre région, le sud de la France, est assez urbanisée, avec une forte emprise agricole, ce qui créé des problèmes d’habitats pour la faune sauvage. Soit un manque de lieux de nidification pour les oiseaux cavernicoles, de refuges pour les chauves-souris, des végétaux qui disparaissent…
Je travaille dans l’agriculture et je sais bien qu’il est nécessaire de restaurer ces habitats car beaucoup d’oiseaux sont auxiliaires de cultures. En arboriculture et viticulture, des mouches et des papillons nocturnes pondent dans les fruits. Or les chauves-souris sont spécialistes de la consommation de ces ravageurs, elles chassent la nuit, et en mangent des quantités énormes, extraordinaires ! Il y a donc des initiatives – de la chambre d’agriculture, du ministère de l’Environnement, de coopératives agricoles – pour les protéger. Et ainsi se passer de produits phytosanitaires.
Vous posez donc des gîtes à chauves-souris pour aider les agriculteurs ?
Par exemple, nous travaillons avec la métropole d’Aix-Marseille-Provence et allons fournir une centaine de gîtes, qui couvriront un grand secteur, pour aider les viticulteurs de la Sainte-Victoire. Ils viennent, regardent comment ça se pose : ce n’est pas nous, ou les financeurs, qui allons les poser. Il s’agit de sensibiliser les agriculteurs car les nichoirs sont une porte d’entrée pour discuter d’un changement de pratiques : arrêter de couper les haies ou des arbres, laisser des pentes enherbées et fleuries, et, dans les vignes, laisser des inter-rangs en herbe plutôt que tout ratisser.
C’est une démarche globale…
Le gros de l’agriculture, depuis longtemps, ne consiste pas à prendre en compte la biodiversité. On cultive en prenant toute la place, on fait du rendement : ce n’est pas de la faute des agriculteurs, c’est ce qu’on leur demande. Maintenant, on sait que cela implique un déséquilibre monumental des écosystèmes, que des insectes deviennent résistants aux pesticides, et que tout va crescendo… Pour s’en sortir, il faut changer de pratiques et de paradigme.
Aujourd’hui, vous êtes des spécialistes des nichoirs
On s’était lancé dans des séances de fabrication avec des amis agriculteurs, parce qu’on aime les oiseaux. On en a fabriqué de plus en plus et on a décidé carrément de se spécialiser. Maintenant, on ne fait plus que du nichoir. On créé des modèles, on a fait venir des chiroptérologues, des organismes scientifiques, on a fait valider nos modèles. On voulait qu’ils soient vraiment accueillants pour la faune, pratiques pour les utilisateurs, et qu’ils ne soient pas des pièges écologiques.
Qu’est-ce que c’est, un piège écologique ?
Cela arrive quand on veut aider la nature, mais qu’on ne la connait pas. On met des boules de graisse pour les oiseaux en hiver, mais les oiseaux se prennent les pâtes dans les filets en plastique, et mangent des graisses hydrogénées mauvaises pour leur santé… On croit leur faire plaisir mais on construit un piège.
Grâce à des études espagnoles, on a créé un modèle de toute pièce pour les chauves-souris. De grandes quantités de gîtes avaient été déposés dans une région du sud de l’Espagne, et les experts avaient tiré la sonnette d’alarme : ils avaient retrouvé beaucoup de chauves-souris mortes de chaud et desséchées. Nous avons donc construit un modèle de gîte avec une sortie qui leur permet de se réfugier dans une zone plus fraîche, entre le tasseau du gîte et le mur.
Vous poussez loin votre approche de l’écologie…
Oui, nous nous efforçons d’avoir une démarche d’éthique écologique la plus globale possible. On va chercher des cartons recyclés pour emballer nos produits, on emmène nos copeaux de bois à la SPA ou alors on se chauffe avec…
Et le bois que vous utilisez, est-il toujours recyclé ?
On n’utilise plus trop de bois recyclé. Nous avons construit des meubles et des nichoirs à partir d’énormes tonneaux de fût de chêne destinés à la vinification qu’on récupérait d’une entreprise proche de chez nous. Mais cela demande beaucoup de travail. En revanche, on continue d’utiliser du bois recyclé de terrasses en teck par exemple, pour les façades des nichoirs. Mais, le gros du bois, nous l’achetons dans des scieries en Savoie ou dans la Drôme. Il provient de forêts gérées durablement.
On veut qu’il soit durable, qu’il ne se dégrade pas vite, alors c’est du bois de première qualité, résistant.
Quelle essence choisissez-vous ?
Du châtaignier. Il est cher, mais très résistant. Et puis les châtaignes nourrissent les écureuils, l’arbre n’est pas issu de monocultures. C’est un feuillu, alors les feuilles qui tombent nourrissent le sol, et non des aiguilles qui acidifient le sol.
Comme c’est le cas du pin Douglas, très à la mode.
Oui, les gens râlent. On plante des grandes parcelles, c’est de la sylviculture pure et intensive, on n’aime pas trop ça. Ces arbres poussent vite et droit, on peut les planter en ligne. Peut-être qu’il en existe certains bien gérés, peut être ?