Dernière escale à la ferme des Prés d’Orée, sur la commune d’Orée d’Anjou (Maine-et-Loire), où Michel Cussonneau et sa fille Line nous racontent le quotidien d’un élevage laitier bio. Le premier épisode racontait la conversion de la ferme en bio en 2016 ; le deuxième décrivait les critères à respecter pour faire du lait bio et le troisième la préoccupation du bien-être animal.
Vivre de son travail semble être une évidence. Pourtant, beaucoup d’agriculteurs et d’agricultrices n’y parviennent pas aujourd’hui par le biais de leur seule activité agricole. Selon une étude publiée par l’Insee en 2021, seul un tiers des ressources des ménages agricoles provient de l’agriculture. L’élevage est même le secteur le plus fragile. Les ménages agricoles sont aussi davantage précaires : 18 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté (13 000 euros par an pour une personne seule en 2018 – au moment de l’étude), contre 13 % des ménages exerçant une autre profession.
Pour éviter ces difficultés, Michel et Line Cussonneau ont trouvé une parade. « Si on ne veut pas être esclaves, il faut faire autrement », affirment-ils. Depuis son passage au bio, la Ferme des Prés d’Orée mise aussi sur les circuits courts et la transformation d’une partie du lait à la ferme. Pour Line et Michel, il s’agit d’un moyen de retrouver de l’indépendance et de s’inscrire dans un système qui dessine un avenir désirable, sur les plans sociaux et écologiques.
La ferme s’est extraite du marché mondial du lait
Ce virage effectué par la ferme est en grande partie dû à un voyage effectué par Line. En 2016, elle est partie avec son compagnon Nathan travailler en Nouvelle-Zélande. Le pays est le premier exportateur mondial de produits laitiers. « C’est presque un eldorado là-bas. On a voulu aller voir ça de nos propres yeux », raconte-t-elle. Mais la désillusion a finalement été au rendez-vous. « Sur place, on a eu plutôt affaire à des usines à lait. Des grands propriétaires rachètent des terres pour y mettre des vaches. Leur métier c’est d’être managers en les louant. L’exploitation où je travaillais faisait 900 hectares et avait 3 600 vaches », détaille Line. Si les vaches pâturent principalement, beaucoup d’engrais sont utilisés et le système est aussi très dépendant de l’irrigation. « Le litre de lait était vendu à 18 centimes et il partait à 95 % en Chine. On était au cœur du marché mondial du lait. Comment être compétitif face à ça avec nos fermes familiales françaises ? »
Sa réponse ? Transformer le lait à la ferme. À son retour en France, Line a suivi une formation dans le Cantal pour apprendre les rudiments de la fabrication de fromages et d’autres produits laitiers. Puis la ferme a investi dans la création d’un local de transformation en 2019, que Line et Michel sont fiers de nous présenter. Dans une pièce bien séparée, des tommes de fromage sont en train de s’affiner. « La transformation a changé pas mal de choses à la ferme, car les enjeux sanitaires sont énormes. Nous avons par exemple supprimé l’ensilage qui repose déjà sur de la fermentation, relate Line. On s’est rendu compte que notre lait était un produit vivant. On travaille avec des bactéries, des bonnes et des moins bonnes. »
Des circuits courts pour « aller jusqu’au consommateur »
Puis « quitte à transformer le lait à la ferme en produit fini, autant aller jusqu’au consommateur », complète la jeune femme. Une évidence qui sautait aux yeux. « Ce n’est pas du tout dans notre éthique de produire pour des supermarchés et d’alimenter ce système. » Aujourd’hui, la Ferme des Prés d’Orée écoule donc ses produits via la vente directe à la ferme sur deux créneaux hebdomadaires. « On vend désormais aussi des produits d’autres producteurs, comme du pain, des œufs, des pommes ou des savons. On est le seul commerce alimentaire de la commune de Saint-Sauveur de Landemont », détaille Line. Les produits laitiers se retrouvent aussi au menu des cantines primaires de la commune, sur les étals d’épiceries et dans les paniers des adhérents de neuf AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) de la région.
« L’avenir pour nous, c’était les circuits courts, complète son père. Ça donne du sens à ce qu’on fait. Le but c’est d’élever des vaches et d’en prendre soin, sans alimenter une grosse machine qui broie tout sur son passage. Cela en est devenu un plaisir de transformer le produit jusqu’à la fin. Grâce à ça, on fait vivre aujourd’hui quatre personnes avec 45 vaches, au lieu de deux auparavant. »