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Entretien

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Anaëlle Théry : bienvenue en syntropie

Apprendre à vivre et produire avec le vivant.

Anaëlle Théry, experte en agroforesterie, dans son potager © Capture d'une vidéo d'Agroécologie voyageuse podcast

Paru le 27 août 2024

Ecrit par Perrine de Mon Quotidien Autrement

Mon Quotidien Autrement a échangé avec Anaëlle Théry, experte en agroforesterie syntropique, un système de culture dense et complexe, et fondatrice de Joala Syntropie. Installée en Périgord Noir (Dordogne), Joala a vu le jour en 2017, en tant que pépinière. L’année suivante, Anaëlle Théry se lance en agroforesterie syntropique, jusqu’à proposer des formations à partir de 2021. En 2023, Joala Pépinière devient Joala Syntropie, et Anaëlle Théry publie le premier livre sur le sujet d’abord en auto-édition, puis aux éditions Terre Vivante : Bienvenue en Syntropie, un jardin d’abondance, des principes aux terrains.

Comment vous êtes-vous intéressée à l’agroforesterie syntropique ?

Déjà par mon parcours, j’ai toujours cherché à retrouver des sols d’abondance que j’ai connus quand j’étais petite, dans le jardin de ma mère, où on avait un sol magnifique.

En 2018, j’ai eu la chance de rencontrer Ernst Götsch, le précurseur de la syntropie, qui travaille depuis plus de 40 ans au Brésil. Depuis je rêve, je mange, je dors et respire syntropie. C’est absolument génial, magique.

J’avais des années de permaculture, de sol vivant derrière moi, mais là c’est vraiment le puzzle qui a pris forme. Tout a pris un sens, parce qu’au-delà de l’aspect technique, c’est d’abord la compréhension profonde des fondamentaux du vivant et des logiques qui font que tous les systèmes vivants tendent vers plus de complexité et d’abondance. C’était vraiment cette compréhension-là qui a tout changé. J’ai adapté au climat tempéré, parce qu’évidemment, on n’est pas au Brésil. Je me suis amusée à recréer des jungles et à faire des « sauts du chat » , c’est-à-dire l’explosion de la vie du sol et de la pousse aérienne des plantes et ainsi, la résilience de l’ensemble.

Qu’est-ce que la syntropie exactement ?

Syntropie, ça vient du grec syntropia, qui veut dire aller du simple vers le complexe. Ça fait partie des mouvements spontanés de tous les organismes vivants. Ça veut dire que chaque organisme va aller vers plus de complexification, il va développer toutes ses structures internes. Et après, on va passer sur l’entropie, c’est-à-dire, à l’inverse, la maturité, puis la sénescence pour finir à la mort. Donc, ça fait partie du système vivant.

Ceci dit, l’agroforesterie syntropique, ou l’agriculture syntropique, sur le terrain, a pour but de partir des sols qu’on a aujourd’hui et qui sont catastrophiques en général, pour revenir vers des sols d’abondance, beaucoup plus résilients, et capables de porter notre alimentation. Presque toute l’alimentation humaine est liée à des systèmes d’abondance, et nos sols sont complètement abîmés, broyés, appauvris… Donc, l’idée, c’est de revenir très vite à ces systèmes. On parle de système parce qu’on va parler de strates, de diversité, pas de monoculture.

Que peut-on produire en agroforesterie ou agriculture syntropique ?

On peut faire du potager, du maraîchage, du bois de chauffage, du bois d’œuvre, des parcours pour les poules pondeuses, de la vache laitière, etc. On peut absolument appliquer tous les objectifs. Et on va aussi planter sur du temps très long, en règle générale. Ça veut dire qu’on va faire des plantations qui peuvent durer jusqu’à plusieurs siècles, sachant qu’on a une production dès le début, dès la première année.

Et on va avoir une évolution des productions. On peut planter un jardin forêt, par exemple, et dans le jardin forêt, on va faire un système complet, où on va avoir des légumes au début, pendant les deux trois premières années, ensuite il y aura trop d’ombre, donc on va peut-être lâcher les poules pondeuses et ramasser les petits fruits. Et puis petit à petit, il y aura des arbustes fruitiers, puis les arbres fruitiers qui vont donner, et on finira peut-être dans deux cents ans avec du bois d’œuvre et du bois noble. Donc c’est un jardin où l’on plante tout en même temps, et c’est un film qui se déploie dans le temps et dans l’espace.

Le potager d'Anaëlle Théry au printemps © Archives personnelles
Le potager d’Anaëlle Théry au printemps © Archives personnelles

Et quelles sont les vertus principales de cette manière de cultiver ?

C’est hyper efficace, dans le sens où on retrouve des sols d’abondance et il y a une énorme résistance aux extrêmes du changement climatique. Donc beaucoup plus de facilité d’adaptation sur l’eau, par exemple, ou la grêle, etc. L’augmentation drastique de la richesse du sol ira très rapidement aussi. Il faut être autonome en biomasse, c’est-à-dire qu’on n’amène plus de brouettes sauf si on en a envie ou besoin, mais l’idéal, c’est d’arriver à juste venir tailler et couper sur place la biomasse qui pousse. Et donc, on va planter cette biomasse dans une plantation pérenne en syntropie.

Ici, on va avoir 70 à 80 % des plantes de départ qui sont là juste pour la biomasse et pour être taillées et reposées au sol. Il y a deux clés principales : la maximisation de la photosynthèse dans le temps, et ce qu’on va appeler la perturbation. On va faire en sorte que ça se déploie du début jusqu’à la fin de la plantation. On va avoir le maximum de strates et une très grande densité pour pouvoir être perturbés, puisque c’est une des clés du vivant qu’on ne voit plus, car une partie de la masse animale a disparue. Il y avait une énorme perturbation, notamment par les herbivores. Donc on vient remplacer les herbivores, mais à la serpette.

Qu’est-ce que la perturbation ?

Sur le coup, le mot fait un peu bizarre. Mais en fait, ce qui semble ne pas bouger, on va venir le perturber en taillant. Les animaux, ils broutaient, nous on va utiliser des outils, et ça a plusieurs effets. Le premier, c’est qu’il y a plus de lumière qui arrive sur les plantes. Le deuxième effet, c’est la biomasse : on la laisse au sol, donc elle va le nourrir. Ensuite, le troisième effet, c’est qu’une information passe par les racines, à travers l’acide gibbérellique (ndlr : il s’agit d’une phytohormone qui a pour rôle le contrôle de la croissance de la plante). Cette dernière va dire à la plante qu’on a taillée et à celles autour : attention, il faut que ça pousse. Comme quand on taille une haie ou un vieux pommier, et que l’année suivante, ça explose.

On va utiliser ce principe-là pour décupler la puissance de pousse des plantes. Et puis, il va y avoir une plus grande résistance aux maladies et aux insectes, et plus de photosynthèse. Ça veut dire plus de richesse, puisque plus on a de photosynthèse, plus on a d’eau, de biomasse, et de richesse.

Pourquoi a-t-on plus d’eau ?

Alors ça c’est très impressionnant. Il y a des années au potager où il n’a plu qu’un peu et je n’ai arrosé qu’une fois la plantation, c’est tout. Étant donné que des systèmes complexes se mettent en place, il y a des strates hautes et émergentes qui vont faire de l’ombre, comme les tournesols par exemple. En dessous on va avoir des maïs, et en bas des légumes.

Cette biomasse en trois dimensions, on va la planter en très grande densité, ce qui donne une forêt au-dessus de la tête qu’on va couper au fur et à mesure de l’année pour que la lumière continue à rentrer et pour créer la biomasse. Ainsi, l’eau va faire un cycle à l’intérieur, ce que j’appelle le cycle secret de l’eau. En dessous, tout va finir par se condenser sur les feuilles et retomber sur le sol.

Toutes les plantes qu’on a appris à mettre au soleil parce que ça pousse mieux, en fait ce n’est pas du tout le cas. Les plantes potagères n’aiment pas être en plein soleil. Il est important de remettre ces plantes dans la strate qui leur convient, c’est-à-dire dans l’équilibre ombre-soleil qui leur permet de se développer au maximum. Et il n’y a pas de stress hydrique. Les pousses sont extraordinaires et il y a beaucoup moins besoin d’eau.

Et dans l’extrême inverse, cette année on a eu des mois de pluie, et bien il y a beaucoup moins de dégâts. Le sol fait éponge. Il garde l’eau quand il y en a et la redonne après, quand il en manque.

Potager d'Anaëlle Théry © Archives personnelles
Potager en syntropie d’Anaëlle Théry © Archives personnelles

À quoi ressemblent vos exploitations cultivées en syntropie ?

Déjà, ce n’est pas une exploitation : ça fait partie des gros mots. Les fondamentaux de la syntropie, c’est d’abord retrouver une place qui soit juste et bénéfique, qui va dans le sens du vivant. Comme dit Ernst Gösch, le précurseur, au lieu d’être les intelligents, ça ne nous a pas réussi jusqu’à présent, il faut comprendre qu’on fait partie d’un système intelligent. Donc, dans ces cas-là, le mot d’exploitation n’a aucun sens. Dire qu’on exploite, c’est qu’on s’arroge le droit de faire ce qu’on veut, d’être au-dessus de tout. Avec la syntropie, au lieu d’être destructeur en puissance, on redevient co-acteur de l’abondance, mais en étant en apprentissage permanent.

Je préfère dire que je suis gardienne d’un jardin. Même le mot nature, il n’a pas sa place. Ce mot a été créé pour décrire ce qui est extérieur à l’humain, il y a une opposition nature-culture. Je n’utilise que le mot vivant, parce qu’on ne peut pas se séparer du mot vivant. Ça implique l’interrelation, l’interdépendance, la complexité des systèmes.

Donc, à quoi ça ressemble ? Ça ressemble à une jungle. Ça pousse extrêmement vite. C’est très touchant. La plupart des gens qui rentrent là-dedans, dans un potager qui a trois ou quatre mois, ils font « Wouah, c’est quoi ce truc ? ». On parle d’une jungle mais en réalité, c’est très ordonné. On n’en a pas l’impression quand on y va, mais il faut que ce soit réfléchi de manière pratico-pratique dans la plantation, dans le ramassage et dans l’entretien. Mais il y a cette idée d’abondance, de diversité, d’explosion de vie. Ce n’est pas qu’une idée, ça se voit tout de suite, et on se sent bien.

Vous évoquez souvent un microclimat qui se développe dans ces jardins, vous pouvez nous expliquer ?

Avec cette histoire de cycle de l’eau et cette densité, on va créer un petit monde en soi. La température change, l’humidité… Et l’odeur de décomposition de la biomasse fait qu’on a l’impression d’être dans la jungle.

Et tout de suite, on crée un micro-climat. D’après mes expérimentations dans le type de climat où l’on est, un jardin à partir de 45 mètres carrés crée déjà son propre micro-climat avec ce cycle secret de l’eau. Après, en plus petit, on a l’ombre, on a la biomasse, mais on a un peu moins ce principe de micro-climat. Il faut quand même une petite masse de départ.

C’est vraiment incroyable. D’accélérer cette vie, les plantations, la hauteur des plantes, les plantes pérennes, les plantes annuelles qui prennent des proportions gigantesques, d’avoir une jungle en quelques mois sur un sol qui était pourri au départ, c’est vraiment génial.

En France, la syntropie est-elle beaucoup pratiquée ?

C’est en train d’exploser, il y a une énorme demande. Ça arrive après la vague de la permaculture. J’ai eu énormément de gens qui étaient formés à la permaculture et que j’ai formés par la suite. Ils disaient : « Pour nous, ça va encore plus loin, c’est l’étape suivante la plus logique ».

On a moins de recul que sous les climats tropicaux, subtropicaux. Il y a des milliers de paysans dans le monde qui travaillent la syntropie, ça va de l’Australie à l’Amérique du Sud, à l’Afrique. Mais pour les climats tempérés, ça fait un peu moins longtemps, moins d’une dizaine d’années. En France, j’ai écrit le premier bouquin sur le sujet. Pour vous donner une idée, on ne s’y attendait pas du tout : 20 000 exemplaires ont été imprimés dans l’année. Il y a une vraie demande, notamment parce que ce n’est pas une recette de cuisine, ce n’est pas uniquement une technique. C’est vraiment un changement de paradigme.

Tout le monde peut s’y mettre ?

Totalement. C’est adapté à absolument tous les terrains, à tous les climats. Évidemment, ce sera un peu plus long dans la Tunisie saharienne qu’en Hollande, pour mettre en place des systèmes d’abondance. Il y a des extrêmes qui sont difficiles à rattraper. Mais c’est adaptable partout parce que c’est basé sur la compréhension du système vivant.

Après, si on a compris les principes, on peut les appliquer absolument partout en les adaptant avec les plantes et les conditions, mais aussi les projections du climat dans 30 ans. Quand on plante sur du long terme, il ne faut pas oublier que, si aujourd’hui le pommier peut être en plein soleil, peut-être que dans 20 ans, il ne le pourra plus parce que ça fera des pommes cuites sur l’arbre. Il faut s’adapter dans le temps aussi, c’est vraiment fondamental. Ça permet beaucoup plus de souplesse, de résilience et d’adaptation.

J’explique les principes de base dans mon livre, qui s’adresse à tout jardinier, amateur, confirmé ou professionnel. Ça va des principes fondamentaux, philosophiques, au pratico-pratique. Tout ce qu’il faut pour se lancer !

 

Bienvenue en Syntropie, un jardin d’abondance, des principes aux terrains, 2024, éd. Terre vivante, 23 euros

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