Alors que le plan Ecophyto promettait, dans ses premières versions, une sortie du glyphosate en France fin 2020 pour les principaux usages, la Commission européenne a voté en novembre dernier sa réautorisation pour dix ans. La France s’est abstenue. La célèbre substance chimique utilisée dans la fabrication d’herbicides – dont le plus connu est le Roundup du groupe Bayer, anciennement produit par Monsanto – a donc le feu vert jusqu’en 2033, alors que son autorisation devait expirer en décembre 2023.
S’il est si difficile de faire passer l’interdiction du glyphosate, c’est parce que la substance a des avantages certains. Elle n’a pas d’effets néfastes sur la culture visée mais seulement sur les mauvaises herbes. Il est possible de semer quelques jours après l’épandage. Mais surtout, le glyphosate est simple d’utilisation et son coût est abordable. Ces arguments sont les principaux utilisés par les professionnels pour défendre l’herbicide. Il y a pourtant eu de nombreuses alertes scientifiques ces dernières années : la substance met en péril la santé humaine et animale, la biodiversité et l’environnement. Mais les lobbies, autrement dit les industriels produisant ces herbicides à base de glyphosate, ont toujours la mainmise.
Un danger pour la santé humaine
En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) avait classé le glyphosate comme “cancérogène probable” pour l’homme (catégorie 2A), en s’appuyant sur de nombreuses études scientifiques. À la suite de cela, d’autres organismes scientifiques ont approuvé ces conclusions. Une méta-analyse menée à partir de plusieurs travaux scientifiques a démontré que le risque de développer un cancer du système lymphatique pour les agriculteurs utilisant ce produit phytosanitaire était augmenté de 41%. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a ensuite conclu, en 2021, que le lien entre le développement d’un lymphome non hodgkinien (cancer du système lymphatique) et l’exposition au glyphosate était « moyen ». D’autres liens sont évoqués, mais avec des résultats moins solides donc un risque classé « faible », avec le myélome multiple (cancer de la moelle osseuse) et les leucémies.
Les produits à base de glyphosate sont aussi « des perturbateurs endocriniens des fonctions de reproduction » d’après l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Certaines études montrent même des impacts intergénérationnels dus à l’exposition au glyphosate ou aux substances dérivées.
L’EFSA ne prend pas ces études en compte
L’agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), l’une des principales agences de l’Union européenne chargée de l’évaluation des risques, estime qu’il n’y a « pas de domaine de préoccupation critique, ni pour l’environnement, ni pour la santé humaine ». Mais les experts de cette agence ne prennent pas en compte la plupart des études citées plus haut. Ils se basent en revanche sur certaines études émanant directement des fabricants de ces produits phytosanitaires, autrement dit des lobbies. Rien d’étonnant donc à ce que l’agence européenne approuve la réautorisation du glyphosate.
Interrogée par le média Vakita, Laurence Huc – toxicologue, directrice de recherche à l’Inrae – déclare : “Les scientifiques, et en l’occurrence mes collègues et moi, produisons des connaissances qui sont ignorées quand elles arrivent dans un système de réglementation des substances. Cette expertise de l’EFSA ne répond à aucun canon scientifique, c’est une truanderie.”
Le cas de la France
La France a aujourd’hui une position délicate vis-à-vis du glyphosate. En effet, il s’agit du seul pays européen ayant restreint l’usage du glyphosate : l’utilisation du glyphosate par les collectivités dans les espaces ouverts au public est interdite depuis 2017, et la molécule n’est plus en vente libre pour les particuliers depuis 2019. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, a également rappelé mi-octobre qu’elle était interdite « dans les cimetières, sur les voies SNCF ou en inter-rangs dans les vignes ». Le Roundup vendu aux non-professionnels est désormais sans glyphosate.
Cependant, dans le contexte pressurisant de la crise agricole, le gouvernement français a tout de même pris toute une série de décisions. Tout d’abord, le ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, a annoncé le 1er février la mise « en pause » du plan Ecophyto, dont la dernière version vise à réduire de moitié l’utilisation des pesticides en France d’ici à 2030. Dans les premières versions de ce plan, l’interdiction totale du glyphosate en France était prévue pour fin 2020.
Puis, fin février, le Premier ministre Gabriel Attal a déclaré que la manière de calculer l’impact de ces produits phytosanitaires allait changer. Jusqu’à présent, l’indice français de référence était le NODU (nombre de doses unités), et va laisser place à l’indicateur de risque harmonisé (HRI-1), autrement dit sa version européenne.
Sous la pression de la FNSEA
Ces décisions font suite aux demandes du principal syndicat agricole, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), s’opposant aux organisations de défense de l’environnement et de la santé. Pour ces dernières, le changement d’indicateur signe la mort du plan Ecophyto. Dans Le Monde, Corentin Barbu — chercheur à l’Inrae et membre du comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto — qualifie l’abandon du NODU comme « scandaleux », et ajoute que « l’indignation est largement partagée dans la communauté des scientifiques travaillant sur ce sujet ». Un indicateur jugé « trompeur » et qui ne prend pas en compte les impacts environnementaux et sanitaires.
Face à ces décisions controversées, les organisations écologistes se mobilisent. Plus de 80 organisations non gouvernementales (ONG) ont lancé des procédures pour contester la décision de la Commission européenne. Ces dernières devraient aboutir dans les prochains mois à une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne.
Comme l’expliquait Sylvain Laurens, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), dans The Conversation en octobre dernier : « le glyphosate est la clé de voûte de tout un système agrochimique, dont dépend le modèle agricole dominant tant pour l’agriculture que pour l’élevage. Bifurquer vers un monde sans glyphosate supposerait de repenser la structuration de la filière agro-alimentaire. » Il faudrait alors repenser un mode d’organisation « qui prévaut au moins depuis l’après-guerre ». Un tournant qui apparaît pourtant nécessaire si l’on veut assurer la sécurité alimentaire à long terme tout en préservant la santé des écosystèmes, des producteurs et des citoyens.