Les Naturalistes des terres font partie des organisateurs du « festival-action » contre le contournement autouroutier de Rouen, baptisé « Des bâtons dans les routes », qui s’est tenu les 5-6-7 et 8 mai près de la commune de Léry (Eure). Créé en février à partir de la publication d’une tribune, ils sont désormais 700 à avoir rejoint le collectif pour repenser leur pratique, qu’elle soit professionnelle ou amateure. Les naturalistes sont aux avant-gardes de l’observation de la biodiversité en pratiquant notamment la botanique ou la zoologie.
Martin (qui préfère ne pas donner son nom de famille), 33 ans, maraîcher et ancien ornithologue, fait partie du groupe qui a initié la réflexion et réfléchit aujourd’hui à la façon de réveiller la pratique. Il raconte à Mon Quotidien Autrement ce qui a contribué à l’émergence de ce groupe et ce qui l’anime.
Qu’est-ce qui a guidé la création du collectif Naturalistes des terres ?
C’est né d’une intuition de quelques-uns, naturalistes ou non. Nous nous interrogions et on nous interpellait sur le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de naturalistes qui prenaient part aux luttes écologiques, par exemple contre des projets d’usines ou d’autoroutes. Cette profession ou les gens passionnés par la nature sont pourtant les premiers à se rendre compte d’une forme d’effondrement ou d’érosion de la biodiversité. À un moment donné, nous avons été plusieurs à vouloir sonder la communauté des naturalistes pour voir si elle répondrait présente, tout en repolitisant un peu cette pratique. Nous voulions que les naturalistes ne baissent plus les bras.
Parce que vous aviez l’impression que les naturalistes baissaient les bras ?
Oui, nous avions l’impression de voir nos copains et nos copines dans une forme d’abattement. Pour ceux qui se sont professionnalisés dans ce domaine dans des bureaux d’études ou dans le service public, leur boulot consiste la plupart du temps du temps à faire en sorte que les projets à accompagner soit le moins pire et à documenter les chutes démographiques d’espèces. Les naturalistes vivent donc une écoanxiété ou une solastalgie parfois de manière très profonde, car on est très conscient de ce qu’on est en train de perdre.
Quelles sont les limites des études d’impact auxquelles participent les naturalistes ?
Dès qu’un projet d’une certaine importance d’urbanisation ou d’artificialisation existe, il est nécessaire selon la loi de mener une étude d’impact. La doctrine, c’est alors de se demander s’il est possible d’éviter ce projet, de le réduire, ou de le compenser. Éviter, en général on n’y arrive jamais. Sur la réduction de l’impact, on peut y arriver parfois. Mais la plupart du temps, les projets se font avec la logique de compenser leur impact. En général, on va compenser sur un espace qui existe déjà. Certes il y aura peut-être une gestion plus favorable à la biodiversité qui y sera mise en place, mais la perte de biodiversité sera quand même nette. La compensation n’est jamais équivalente, c’est impossible de recréer à l’identique ce qui a été perdu. Et les bureaux d’études où travaillent des naturalistes contribuent à ça. S’ils sont trop souvent défavorables aux projets et font trop bien leur travail, forcément ils ne seront plus choisis pour mener les études d’impact. C’est hélas une logique économique de survie pour ces entreprises.
Pourquoi estimez-vous qu’il faut « repolitiser cette pratique » ?
Notre intention, c’est de provoquer une rencontre entre les naturalistes et les gens en lutte, qui sont souvent plus politisés. Nous voulions faire en sorte que ces mondes se croisent, que l’un apporte ses connaissances et l’autre sa vision politique. Nous estimons que la pratique naturaliste ne peut sans doute que s’accompagner de tels mouvements politiques, ancrés à gauche, qui évoquent l’intersectionnalité de différentes luttes entre elles. Avant la création des Naturalistes de la terre, je n’avais jamais discuté dans les cercles naturalistes des notions d’exploitation ou de capitalisme. On l’a fait pour la première fois début avril lors de notre première rencontre nationale.
Vous avez mis en place un annuaire cartographique. Comment peut-il servir ?
Il est destiné à des gens qui ont une problématique sur un territoire donné et qui ne sont pas naturalistes. S’ils n’ont pas de contacts avec des naturalistes locaux ou des associations de sauvegarde de l’environnement, ils peuvent se tourner vers cet annuaire. Celui-ci propose des contacts de naturalistes près à se mettre au service de luttes écologistes par exemple pour faire bénévolement des inventaires ou des contre-expertises, ou lorsque des habitants estiment que l’étude d’impact a été insuffisante.