Pour beaucoup, la Cop 26 s’est révélée être une déception. Les avancées pour la planète ont été trop peu nombreuses alors que le Giec alerte, depuis 1990, sur le réchauffement climatique et son accélération. Au cours du 21e siècle, les températures devraient s’élever de 0,3°C. Mais alors, quelles sont les priorités aujourd’hui pour protéger la planète et ralentir le changement climatique ? Cette question a fait l’objet d’un débat à l’occasion des Rencontres capitales organisées en novembre 2021.
1/ Réduire les émissions de gaz à effet de serre
C’est la priorité numéro 1 pour la planète. « La baisse des émissions de GES pose des enjeux multiples, dans tous les secteurs d’activités. Des enjeux d’innovation, de transformation, de ruptures », rappelle Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue et directrice de recherche au CEA. Selon elle, il ne faut « pas seulement chercher des baisses graduelles, mais de vraies ruptures ».
2/ Anticiper et mieux prendre en compte le climat
Pour la paléoclimatologue, on agit aujourd’hui « lentement, souvent de manière réactive, lorsque l’on a été affecté », en matière de climat. Il faudrait au contraire agir par anticipation, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques, qui sont disponibles et devraient être davantage mobilisées pour la gestion du risque et le renforcement de la résilience de territoire.
Pour Philippe Mauguin, président de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), il est nécessaire de travailler sur des scénarios de transitions. « Le Giec a des projections climatiques très claires pour l’ensemble des régions du monde, à l’horizon 20 ou 30 ans. L’Ipbes (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) a des données claires sur l’évolution de la biodiversité. Le groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition aux Nations Unies a des données sur les projections démographiques et de sécurité alimentaire. Il faut dépasser ce moment où chaque enceinte répète séparément ces projections qui sont souvent alarmistes. » Ces scénarios de transitions doivent être pensés « de manière globale mais aussi dans les territoires ».
Pour cela, deux approches sont possibles, explique Valérie Masson Delmotte. La première est prospective. Elle consiste à se projeter en 2050, à imaginer le futur que l’on souhaite construire et à « faire le rétro-planning » pour y arriver. La seconde consiste à recourir à la grille d’analyse des 17 objectifs de développement durable dans la prise de décision. « On peut analyser le profil de chaque décision que l’on veut prendre aujourd’hui. Est-ce neutre au regard des objectifs de développement durable ? Est-ce qu’il y a des effets négatifs ? Positifs ?, explique Valérie Masson Delmotte. « C’est ce que l’on devrait faire mais ce n’est pas nécessairement fait pour un projet de loi, pour une délibération dans un conseil municipal ou pour examiner des projets proposés dans le cadre de l’élection présidentielle », regrette-t-elle.
3/ Rendre les mesures en faveur du climat plus attractives
Difficile de se priver au quotidien pour agir en faveur de la planète. Pour favoriser cette action, il faut la rendre désirable explique Jean-Marc Jancovici. « La question du passage à l’action n’est pas un problème scientifique, explique-t-il. La science éclaire le cadre dans lequel il faut qu’on agisse, mais elle ne donne pas la clé de l’action. Le défi qui reste à relever est d’incarner quelque chose qui résout le problème qui est posé tout en offrant des satisfactions de court terme. »
Concrètement, l’ingénieur et cofondateur du cabinet de conseil Carbone 4 pense qu’il faut être capable de montrer qu’il y a un bénéfice à court terme qui compense ce qui peut être perçu comme une baisse de confort matériel. « Par exemple, la colocation, c’est avoir moins. Chacun n’a pas sa salle de bain, ni sa cuisine. On doit partager. Mais ça a aussi des avantages. Ça vous offre par construction une vie sociale. »
4/ Introduire plus d’égalité
« Il y a 12 ans, à Copenhague, lors de la Cop15, les pays riches, dont la France, se sont engagés à verser aux pays pauvres au moins 100 milliards de dollars d’ici à 2020, rappelle Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel et ancien Premier ministre. Nous sommes en 2021 et les 100 milliards ne sont toujours pas là. Pour les pays pauvres, il n’y a pas de financement alors même qu’ils sont très peu émetteurs de GES et sont les premières victimes » des dérèglements du climat.
Et la justice climatique ne vaut pas qu’entre pays développés et pays en voie de développement, souligne le climatologue Jean Jouzel. « Même en France, par exemple, vous avez une vague de chaleur à Paris, il y a ceux qui comme moi peuvent aller en Bretagne et il y a ceux qui ne peuvent pas quitter Paris », citant également le manque de justice sociale dans le projet avorté de taxe carbone.
5/ Privilégier les écosystèmes les plus en danger de la planète
« Nous avons des ressources limitées. La question est de savoir où nous allouons ces ressources », affirme Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle. Pour lui, les efforts sont à porter là où les situations sont les pires. « Lorsque l’on parle de protéger des territoires, on songe plutôt à des zones éloignées, à des récifs de coraux en Polynésie, à la forêt équatoriale. Mais ce sont des écosystèmes qui ne sont pas en mauvais état. » Il estime qu’il est davantage bénéfique de « replanter des haies dans la Beauce ou la Brie que de protéger les forêts du Vercors », qui est un écosystème relativement préservé, par exemple. « Allouons nos ressources là où les marges de progrès potentiel sont les plus importantes » pour la planète.
6/ Réduire le gaspillage et rééquilibrer les régimes alimentaires
Aujourd’hui, 30 % des produits alimentaires dans le monde sont gaspillés. C’est vrai dans les pays riches comme dans les pays plus pauvres. Dans les pays du Sud, « 30 % des produits du monde de l’agriculture sont perdus à la sortie des champs faute d’infrastructures de stockage, faute de logistique, faute d’organisation de filière », souligne Philippe Mauguin. Il regrette que l’agriculture ne soit « pas encore une priorité ni de la Banque mondiale, ni du FMI, ni des bailleurs de fonds. Mais il faut aussi limiter le gaspillage dans les pays du Nord, où 30 % sont également perdus, « en aval de la filière, au niveau des consommateurs et de la grande distribution ».
Par ailleurs, le président d’Inrae plaide plus largement pour un rééquilibrage des régimes alimentaires. « Si tous les pays consomment autant de produits carnés que les États-Unis, le Mexique et l’Europe, on n’y arrivera pas. » Les légumineuses constituent une alternative intéressante. Elles permettent de « mieux couvrir les sols, d’apporter de l’engrais naturel dans les sols à la place des engrais minéraux. Cela permet aussi de limiter l’utilisation d’herbicide, cela donne de l’autonomie aux élevages en terme d’alimentation et évite ainsi d’importer du soja dont la culture contribue à la déforestation de l’Amazonie. »