Pour être dans les clous des objectifs environnementaux votés par l’UE, la France doit s’équiper d’une loi climat. Son examen par l’Assemblée Nationale a démarré le 29 mars. Elle doit l’adopter au plus tard fin septembre. Au programme du Parlement : près de 7 000 propositions d’amendements, preuve que ce projet de loi est loin de faire l’unanimité. Et pour cause, il n’est pas à la hauteur de l’urgence écologique.
La Convention citoyenne méprisée
D’octobre 2019 à février 2021, une Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) a rassemblé 150 personnes tirées au sort et venues de tous horizons. Elle a travaillé sur le projet de loi climat avec l’objectif de publier une liste de mesures, censées être conservées “sans filtre” pour le projet de loi, selon la promesse d’Emmanuel Macron. Mais le texte finalement proposé aux députés s’en éloigne fortement. Seules 18 des 149 propositions émises ont été retenues intégralement par la commission parlementaire en charge du projet.
L’ensemble du texte est bien moins ambitieux que le rapport final de la CCC. Prenons pour exemple une mesure phare, la transformation de l’habitat. La rénovation complète de l’ensemble des logements demandée par la Convention s’est transformée en une simple interdiction de louer des “passoires thermiques”, ce qui ne représente que 7% de l’habitat, et ce pas avant 2028.
Autre exemple, en matière de consommation, la CCC demandait une taxation forte des produits ultra-transformés à forte empreinte carbone et faible apport nutritionnel (produits alimentaires ou plat préparés trop gras, trop sucrés, trop salés et sur emballés …). Idée retoquée : il n’y a dans le projet de loi qu’une incitation à consommer de meilleurs produits via un meilleur affichage de leur impact carbone. Exit aussi l’idée d’une TVA fluctuante en fonction de la distance parcourue par les produits, l’interdiction de la publicité pour les produits les plus polluants et les produits proscrits ou déconseillés relatifs à la nutrition et la santé. Ou encore l’introduction de chèques alimentaires pour l’achat de produits durables.
Certaines propositions ont même été frappées par le veto présidentiel. Il en va ainsi de la limitation de vitesse sur autoroute à 110km/h. Comme de la taxe écologique sur les entreprises, qui visait à attribuer 4% des dividendes versés au financement de la transition écologique.
Les membres de la convention citoyenne ont d’ailleurs jugé avec sévérité le projet de loi lors de l’évaluation finale prévue par la CCC. Au regard des propositions qu’ils ont émises et du texte finalement conservé, les participants lui ont attribué la note de 2,5/10.
Pas de réforme en profondeur
Le Haut Conseil pour le climat (HCC), instance indépendante, résume dans un rapport accablant ce qui est reproché au projet de loi : un « manque d’ambition sur la portée (…) ou le calendrier ».
En matière de portée, le HCC cite l’interdiction des vols aériens intérieurs lorsqu’il existe une alternative en train en moins de 2h30. Cette interdiction ne concerne en fait que 8 liaisons, soit seulement 10 % du trafic. Dans la Convention Citoyenne pour le Climat, c’était quatre heures …
Quant au calendrier, il ne semble pas répondre à l’urgence de la situation. On peut prendre l’exemple de la restauration collective. Les cantines devront proposer 50% de produits durables dont 20% en bio, mais pas avant 2025. Des délais « manifestement incompatibles avec le rythme attendu de l’action contre le changement climatique et le rattrapage du retard pris par la France ».
Le HCC note aussi que les objectifs affichés par la loi climat sont contredits par des mesures prises par ailleurs. Ainsi, ils rappellent que les premières mesures de sortie de crise du Covid ont été prises en faveur de secteurs très polluants comme l’automobile ou l’aviation. Certes on comprend que ces secteurs, encore très pourvoyeurs d’emploi en France, aient besoin d’être aidés financièrement mais on peut regretter que ces investissements ne soient pas conditionnés à des plans de réduction d’émission à moyen terme.
Des objectifs limités
Les limites du projet de loi se lisent dès la définition de ses objectifs : une réduction de 40% des émissions de GES d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Or le Parlement européen a fixé en décembre dernier un nouvel objectif revu à la hausse, à hauteur de -55%. Quand bien même la loi atteindrait son objectif, on serait ainsi déjà en retard sur le rythme européen.
Son budget même semble déconnecté des enjeux. La France dépense près de 45 milliards d’euros chaque année pour la transition écologique, bien loin des 100 milliards nécessaires estimés par l’INSEE.
Pour mettre en valeur les carences de la loi, les députés Delphine Batho et Mathieu Orphelin ont déposé un projet alternatif de “vraie loi climat” à l’Assemblée Nationale. Alors que le projet de loi promet une réduction des émissions de CO2 de 6 à 10 millions de tonnes d’ici à 2030, le texte alternatif propose lui une réduction à hauteur de 50 millions de tonnes. Parmi les principales mesures avancées, on retrouve la rénovation écologique de tous les logements. Mais aussi une aide aux ménages pour l’achat d’une voiture à plus faible consommation, et un plan d’investissement ferroviaire.
Le gouvernement oppose à ces critiques son pragmatisme économique.« Nous voulons une écologie de progrès mais pas une écologie qui casse la croissance économique, ou qui mettrait une industrie la tête sous l’eau », déclare le rapporteur général du projet de loi Jean-René Cazeneuve dans Le Monde. C’est précisément là le problème. Le texte vise à corriger un système existant, et non à le réformer en profondeur. Or, nous avons besoin d’un projet bien plus ambitieux. Espérons que les parlementaires sauront corriger le tir avant l’adoption du texte définitif.
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