Passionné par les singes depuis l’enfance, Aurélien Brulé allait tous les mercredis au zoo de sa ville, dans le Var, pour les observer. A 16 ans, il écrit un livre sur le sujet, avant d’être contacté par la comédienne Muriel Robin. Elle lui donne de l’argent pour son projet : le jeune homme veut sauver les gibbons, ces grands singes victimes du braconnage et de la déforestation. A 18 ans, celui qui s’appelle désormais Chanee s’envole pour ne plus jamais revenir. Aujourd’hui, il est marié à une Indonésienne, son association Kalaweit compte plus d’une cinquantaine d’employés et Chanee vient juste de publier un second livre: Sourire Fendu (Editions Strapontin(S) (mars 2013). Nous l’avons rencontré dans un café, lors de son passage à Paris. On en ressort bluffé par son énergie.
Pourquoi avoir voulu coucher votre expérience sur papier?
C’est un exutoire. Je vis une réalité qui n’est pas facile tous les jours. C’était aussi l’occasion de diffuser un message combatif : il est temps de se retrousser les manches et d’agir. Il ne faut pas se demander sans cesse “est-ce que ça suffit ?”. Le bilan, on le fera plus tard. On ne peut pas sauver le monde mais on peut tous agir à notre échelle. J’étais le premier à me dire misanthrope quand je suis arrivé en Indonésie à 18 ans. Je me disais que mon avenir ne passerait que par les singes. Mon engagement a beaucoup évolué. Ce livre, c’est donc surtout un moyen de parler du côté humain de mon engagement. D’insister sur l’aspect philantropique d’une démarche qui se veut, à l’origine, pour les animaux. Ce livre parle beaucoup de ces gens, de ces rencontres. J’avais envie de ne pas les oublier, qu’ils existent sur du long terme.
Qu’est-ce qui a fait évoluer votre engagement?
Je me suis pris quelques claques dans la figure ! Je suis arrivé avec mes gros sabots de Français, sans connaître ni la langue ni la culture. On ne peut pas protéger les animaux sans l’aide de la population. Et puis, je pense que ce n’est pas forcément le résultat qui est important, mais la démarche. C’est elle qui sublime les résultats. Peu à peu, j’ai pris conscience que je ne sauverai pas les gibbons, ni la forêt… mais des gibbons, et de la forêt.
Vous parliez de la population locale?
On n’aurait rien pu faire sans les Indonésiens. Je dis souvent que si Kalaweit existe toujours, c’est grâce au soutien des gens. Pour qu’un message soit porteur, il faut que les gens y adhèrent. En 2003, nous avons créé Kalaweit FM, une radio qui émet sur Bornéo et cible les 15/25 ans et qui a entre 10 et 15 000 auditeurs par 24 heures. 65% des animaux ont été recueillis grâce à des signalements d’auditeurs. On ne fait pas une radio où l’animateur parle de gibbons et de forêt. Le but premier est d’être écouté, pour toucher les gens qui ne sont pas encore sensibilisés à nos combats.
Mais de quoi faut-il protéger les gibbons?
Les braconniers tuent la mère pour récupérer les petits accrochés à sa fourrure, et les vendent comme “jouets vivants” à de riches familles locales. C’est un signe de prestige. Ces singes chantent ! (NDLR : Il nous fait écouter l’étonnant chant des gibbons sur son portable. Pour les curieux, cliquez ici) Il y aurait aujourd’hui près de 6000 singes en captivité à Bornéo, Java et Sumatra.
D’ou d’importants efforts de sensibilisation. Au début, je voulais faire un refuge style Bardot pour les gibbons… Mais le problème est plus vaste. A cause de la déforestation, l’habitat des singes n’existe plus ! La forêt est détuite par les plantantions de palmiers à huile. C’est une monoculture qui ne laisse aucune vie derrière elle. Deux millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année en Indonésie.
Quinze ans déjà que vous vous battez… Avec toujours le même enthousiasme?
Je suis plus enthousiaste que jamais ! J’ai eu beaucoup de moments de doute pendant quinze ans, mais je suis bien plus fort aujourd’hui. Le message commence à passer, nous avons les moyens d’agir et sommes plus entendus.
On parle beaucoup d’écologie ces dernières années : ça a aidé votre combat?
On parle d’écologie, mais mal ! L’écologie rime avec austérité, dépression et contrainte. Ce que nous voulons faire passer, c’est que sauver, protéger, c’est fun ! Ce n’est pas regarder son nombril et se plaindre, c’est faire quelque chose à son échelle. Il suffit de voir les grands films qui portent l’écologie en France, comme celui de Hulot, ou les émissions Vues du Ciel. On en ressort abattu et déprimé. Et en plus c’est moralisateur. Les gens ont leurs soucis, ça ne sert à rien de les culpabiliser.
Ce n’est pas comme ça qu’on fédère. Il faut être sérieux dans le fond mais pas dans la forme : les industriels qui vendent de l’huile de palme, eux, packagent bien leurs produits !
Pour en savoir plus :
Une exposition de photos et d’œuvres d’artistes animaliers, « L’Art d’être un gibbon », est organisée dans la librairie Le Tumulte des Mots, 6 rue de Rochechouart, à Paris, 9ème arr. du 10 au 21 avril. Chanee y dédicacera son livre.
Le combat de Chanee en vidéo (9 minutes) :
[video:http://www.dailymotion.com/video/xyaz8c_30-millions-d-amis-kalaweit-janvier-2013_animalsundefined#.UWusEEoQzZh]Un bébé gibbon récupéré (30 secondes) :
[video:http://www.youtube.com/watch?v=NuMetS_ultM]