Conduire sur les petites routes forestières de Sologne, 500 000 hectares entre la vallée de la Loire et la vallée du Cher, c’est longer des kilomètres et des kilomètres de grillages. L’idée n’est pas d’empêcher l’intrusion de quelques promeneurs curieux, mais bien de garder les animaux dans les parcelles pour pouvoir les chasser. Les responsables ? De grands propriétaires terriens, tels que Franck Provost (le coiffeur), ou Benjamin Tranchant, le président du groupe de casinos Tranchant. « On ne peut pas appeler ça de la chasse, c’est de l’abattage », dit à France Bleu Raymond Louis, lui-même chasseur. Il a fondé avec sa femme Marie l’association Les amis des chemins de Sologne, qui lutte contre cet engrillagement.
« Les animaux sauvages ne sont la propriété de personne »
“Le problème a commencé à être identifié en Sologne à partir des années 1990 et a pris depuis une ampleur toujours croissante. Il a largement dévoré la Sologne où l’on compte entre 3 000 et 4 000 kilomètres de grillages selon le rapport de référence d’août 2019”, peut-on lire dans une récente proposition de loi (fin 2021). Portée par 80 députés, elle vise à lutter contre « l’engrillagement des forêts françaises ». « Les animaux sauvages ne sont la propriété de personne », a dénoncé, dans le Parisien, le député LREM des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi. Biches, chevreuils, se prennent dans ces filets, parfois dotés de barbelés, et n’arrivent plus à s’en dépêtrer.
Les amis des chemins de Sologne, très active sur le sujet, partage souvent des photos d’animaux pris dans ces grillages. « Quelle image désastreuse donnons-nous aux touristes randonneurs qui viennent pour la première fois dans notre région ? L’économie de la Sologne, c’est 14% la chasse et 20% le tourisme, ne l’oublions pas », disent-ils sur leur site.
Hérissons, grenouilles, lapins… souffrent aussi
En 2018, première avancée : le Conseil régional a décrété que les grilles ne devaient pas dépasser 120 centimètres en hauteur et laisser un espace de 40 centimètres au-dessus du sol pour permettre à la petite faune de circuler. Mais la décision du Conseil régional n’entraine aucune sanction pour qui ne la respecterait pas.
En effet, outre le gibier, lapins de garennes, hérissons, batraciens, reptiles…Tous les animaux pâtissent de ces clôtures. “Les clôtures d’une hauteur supérieure à 1m sont imperméables aux sangliers et dès 1m50, limitent les déplacements des chevreuils. Lorsque les clôtures sont doublées d’un maillage fin, celui-ci empêche également la petite faune de circuler”, résume-t-on sur le site de la préfecture du Loir-et-Cher. Piétinement des sols, destruction de la flore… La trop grande densité des grands animaux est nuisible à cette petite faune. Et en cas de sécheresse, comment se déplacer pour boire ? En cas d’incendie, de plus en plus courant, comment fuir ?
Privatisation d’un poumon vert
Les grands animaux sont bien sûr aussi affectés. Et ce d’une manière surprenante : les empêcher de circuler diminue les échanges entre individus et donc… la diversité génétique.
« Le fond du problème n’est pas la circulation des animaux, disait à Reporterre Charles Fournier (Europe Écologie-Les Verts), mais la privatisation et la mauvaise gestion de ce poumon vert auquel tout le monde devrait avoir un accès égal. »