Les chibanis ont été au cœur de l’actualité ces dernières semaines, mais connaissez-vous vraiment leur histoire ?
Qui sont les chibanis, soit “cheveux blancs” en arabe ?
« Entre 1945 et 1974, c’est-à-dire les Trente Glorieuses, la politique était celle du recrutement massif de la main-d’œuvre provenant essentiellement du Maghreb et répondant à un besoin conjoncturel. Certains, convaincus de la courte durée qu’ils allaient passer en France, n’ont pas opté pour le regroupement familial et ont vu leur situation s’éterniser », explique l’association Les Chibanis, basée à Nice. Ces personnes là, ce sont les chibanis. Ils ont travaillé dans la sidérurgie, la mine, le secteur automobile, ils sont à la retraite et vivent aujourd’hui dans les foyers d’Adoma (ex Sonacotra).
Combien sont-ils ?
« Les immigrés des États tiers (hors Union européenne) âgés de plus de 65 ans représentent près de 350 000 personnes », peut-on lire dans un rapport d’information parlementaire, conduit en 2013 par le député des Hauts-de-Seine Alexis Bachelay. 140 000 de ces immigrés ont acquis la nationalité française. Les deux tiers viennent d’un pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie…). Les immigrés âgés résidant en France perçoivent des pensions dont le montant moyen se situe entre 300 et 700 euros.
Au-delà de leur précarité économique, ils vivent une grande précarité émotionnelle, poursuit le rapport parlementaire : « Le monde du travail ayant été le principal cadre de sociabilité extérieure au foyer, la vieillesse amenuise encore plus durement le tissu social et affectif. »
Une fois à la retraite, ils se retrouve donc seuls, mal logés et avec un accès aux soins défaillant. En effet, du fait de leur vie professionnelle – 40 ans sur des chantiers par exemple – ils subissent un vieillissement précoce et accumulent les pathologies.
L’impossible retour au pays
Selon Kader Atia, directeur de l’Action Méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement interrogé par le magazine Solidarum, « les chibanis ont été envoyés en France pour rapatrier de l’argent, puisque la décolonisation n’a rien laissé. Ils sont devenus des “mandats”, ils ne retournent plus voir leur famille. Je les pousse à y aller, mais c’est très difficile parce qu’ils n’ont pas vu leurs enfants grandir, parce qu’ils n’ont presque rien vécu avec leur femme. Ils ont évolué chacun de leur côté de part et d’autre de la Méditerranée. »
Certains d’entre eux font tout de même de nombreux retours au pays. Le hic : leur situation économique peut en être impactée. Depuis les années 2000, ils peuvent bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées qui leur est retirée s’ils restent trop longtemps dans leur pays d’origine. Les associations se battent pour qu’ils aient des droits sans condition de résidence principale en France. « On est allé les chercher, on les a séparés de leur famille. Ils se sont ruinés la santé au travail, alors aujourd’hui, on leur doit bien ça, on peut bien leur donner ce supplément », plaide Zineb Doulfikar, fondatrice de l’association Les Chibanis, dans Solidarum.
Et les chibanias ?
Ce sont les grandes oubliées. « Lorsque l’on parle des migrants âgés, on a tendance à oublier qu’il y a aussi des femmes parmi eux », regrette Martine Bendahan, déléguée territoriale de l’Association service social familial migrants (ASSFAM). Et pourtant, ces dernières, qu’elles aient rejoint leur mari rapidement ou plus tard, vivent elles aussi, aujourd’hui, dans la précarité économique et sociale. Une précarité aggravée dans la mesure où les chibanias se sont consacrées à leur famille et ne peuvent donc bénéficier des droits accordés après une vie de travail salarié.
Des initiatives pour aider les chibanis existent !
A Paris par exemple, le sociologue Moncef Labidi a créé le « café social », dans le 20e arrondissement. Un lieu de convivialité où les chibanis se retrouvent pour boire un café, discuter ou jouer aux dominos, mais aussi une permanence sociale pour les aider dans leurs démarches administratives. A Lyon, le café l’Olivier des sages fonctionne sur le même principe.
Et on peut aussi se réjouir qu’une frange des chibanis aient gagné leur procès : ils étaient plus de 800 à poursuivre la SNCF pour discrimination, car embauchés comme contractuels et ne bénéficiant pas du statut de cheminot ni de ses avantages. Les « indigènes du rail », c’est leur surnom, ont obtenu réparation après douze ans de bataille juridique.
Photo d’illustration. Instagram mouniribnmoubarak