L’écriture manuelle… en voie de disparition ? Vraiment ? Cela peut paraît absurde, après tout, l’écrit est partout. Et pourtant, demandez à vos proches quand ils ont pris un stylo pour la dernière fois. Un chèque il y a trois jours, une carte postale en vacances, la liste des courses la semaine dernière… Rien de bien concluant. Sans que l’on y pense, il faut se rendre à l’évidence. On écrit de moins en moins à la main. L’an dernier, un quotidien allemand s’était penché sur la question et, pour l’occasion, avait écrit sa Une à la main.
Certaines contrées ont réfléchi à cette évolution. Aux Etats-Unis, d’ici à 2014, l’enseignement de l’écriture cursive sera rendu facultatif dans pas moins de quarante-cinq Etats. La Californie, la Géorgie et le Massachusetts ont ajouté l’écriture cursive à leurs programmes. La plupart des autres Etats, comme l’Indiana, l’Illinois ou Hawaï ont laissé le choix aux districts scolaires.
Anne Trubek, professeure américaine, a jugé dans un article qu’enseigner l’écriture manuelle relevait d’une nostalgie mal placée. A sa propre surprise, elle a récolté des milliers de commentaires en quelques jours, preuve s’il en faut que le sujet ne laisse pas indifférent. « Quand une nouvelle technologie d’écriture se développe, nous idéalisons l’ancienne, écrivait-elle notamment, en concluant: » Ce que nous recherchons dans l’écriture, c’est la possibilité de penser le plus vite possible. C’est ce que permet l’ordinateur. D’aller plus vite, pas parce que nous voulons toujours que tout aille plus vite dans notre société, mais pour la raison inverse : pour avoir plus de temps pour penser. »
La construction de notre pensée est différente
Alors, des ordis sur les pupitres pour remplacer les cahiers d’écoliers, bonne idée ?
Pour Abel Victor, psychologue scolaire, les petits gestes tout simples que l’on peut faire grâce à un traitement de texte basique, comme « copier-coller » ou « effacer », ne sont pas anodins. « Derrière l’ordinateur, outil technologique, se cache notre manière d’écrire, mais aussi de penser. Il y a un lien entre la pensée et l’écriture, entre les innovations technologiques et l’évolution de la pensée. Pouvoir écrire des idées ou des blocs d’idées que l’on peut intervertir, effacer, remanier à l’envie, change notre manière d’organiser nos idées. Essayez d’écouter des discours politiques d’il y a 50 ans… C’est pareil pour bien des innovations technologiques. Avant l’invention de l’horloge, le temps n’était pas découpé, et cette quantification du monde a totalement changé notre manière de percevoir le monde ! ».
Pas question de tenir un discours du type « c’était mieux avant » : le psychologue souligne simplement que ce changement n’est pas anodin, notamment chez les enfants. A son avis, une des conséquences de ces évolutions peut être qu’ « il est plus difficile de construire sa pensée en écrivant sur ordinateur car un ensemble n’apparaît pas, ce sont des pensées trop morcelées. Par ailleurs, les enfants ont du mal à pénétrer la logique des textes anciens parce qu’ils ne sont plus dans cette pratique là. Un bouquin de Voltaire a été construit avec une certaine grammaire de textes qu’il peut être difficile de comprendre aujourd’hui ».