« A-t-on le droit de faire des expériences et des vivisections sur les animaux ? Quant à moi je pense qu’on a ce droit d’une manière entière et absolue… Il est essentiellement moral de faire sur un animal des expériences, quoique douloureuses pour lui, dès qu’elles peuvent être utiles pour l’homme. » Le médecin Claude Bernard s’interrogeait ainsi dans l’« Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » publiée en 1865. Plus de 150 ans plus tard, le débat n’est toujours pas tranché. Il mérite en tout cas qu’on s’y attarde, là où nombreux sont ceux qui le balayent d’un revers de main en le résumant grossièrement à : “Une souris sacrifiée pour soigner un enfant cancéreux, ça vaut le coup”.
En tout cas, les choses évoluent, dans le droit comme dans la pratique scientifique et dans l’opinion publique.
La législation évolue
Tenez, dès 1959, la règle des 3 R (remplacer, réduire, raffiner) est devenue la base éthique appliquée à l’expérimentation animale en Europe et en Amérique du Nord. En 2016, en France, les animaux ont été reconnus comme des « êtres sensibles » dans le Code civil. Cette notion apparaissait d’ailleurs déjà dans le Code rural depuis 1976 : il s’agit de l’article L.214 qui a donné son nom à l’association de défense des animaux.
Et surtout, une directive européenne de 2010 a marqué une étape supplémentaire. Elle a mené à la création de comités éthiques chargés d’évaluer les projets des chercheurs, et surtout a présenté comme objectif l’abandon de l’expérimentation animale.
« La présente directive représente une étape importante vers la réalisation de l’objectif final que constitue le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique. »
La médecine arrivera-t-elle à se passer d’animaux, comme l’a fait l’industrie de la cosmétologie ? La question n’est pas anecdotique : en 2018, près de deux millions d’animaux ont été utilisés dans les laboratoires français selon une enquête du ministère de la Recherche. “C’est une certitude » répond Audrey Jougla, auteure de Profession : animal de laboratoire et fondatrice de l’association Animal Testing, interrogée par Ballast. Ce sera gradué : tout comme les grands singes sont exemptés des expériences dans l’Union européenne, les suivants sur la liste seront les autres primates, puis probablement les animaux jugés « de compagnie », comme les chiens, les chats… car le grand public y est plus réceptif. Les méthodes sans animaux vont simultanément s’améliorer et se diversifier ».
“Il faut développer les méthodes in vitro comme la bio-impression en 3D ou 4D
Mais…par quoi remplacer l’expérimentation animale ? « Soyons clairs, dit dans la Croix Serge Picaud, qui travaille à l’Institut de la vision, un laboratoire de l’Inserm. Personne ne se livre à des expérimentations animales de gaieté de cœur. Mais il faut être courageux et dire clairement que sans ces pratiques, il deviendrait impossible de développer des thérapies pour certaines maladies. »
Certes, mais bien des alternatives existent déjà, et sont sous-utilisées et sous-financées, rétorquent les défenseurs de la cause animale. “Il faut développer les méthodes in vitro (cultures de cellules ou bio-impression en 3D ou 4D, les organoïdes, les organes sur puce) et les méthodes « in silico » (biomathématiques, modélisations, simulations, intelligence artificielle)”, résume dans la Croix Muriel Obriet, membre de la commission « condition animale » d’Europe Écologie-Les Verts (EELV).
Le chercheur Christophe Mas travaille par exemple à la modélisation du cancer en 3D à l’aide de tissus humains. «Habituellement, le protocole nécessite de greffer une tumeur sous la peau de 30 souris pendant deux mois puis de les sacrifier», précise à Libération l’association Pro Anima qui subventionne le chercheur.
Notre souhait : que les États accompagnent vraiment ces alternatives audacieuses. A votre échelle, vous pouvez déjà :
- soutenir le Référendum pour les animaux, dont l’une des six mesures porte sur l’expérimentation animale
- vous renseigner grâce à l’association Animal Testing (et pourquoi pas les soutenir)
- lire le livre Profession : animal de laboratoire (éditions Autrement, 2015) d’Audrey Jougla
- signer la pétition de l’association Ava (Agir pour la vie animale)
Photo : Une souris en laboratoire, photo par Tibor Janosi Mozes de Pixabay