Pourquoi diable nos rues sont-elles si austères? A une autre époque, au Moyen-Âge, on pouvait un peu plus se bidonner quand on se baladait, et notamment à Paris.
Dès le 17e, on nomme une rue pour rendre hommage à une personnalité
Tenez, prenons l’exemple de la rue du Pélican. Pour connaître son ancien patronyme, on se plonge dans un ouvrage de 1844 : « Le dictionnaire administratif des rues de Paris et de ses monuments ». On y apprend que la rue “commença vers 1313 à servir de repaire aux filles publiques. On lui donna alors une dénomination trop indécemment en rapport avec les malheureuses qui en faisaient leur séjour pour être rappelée ici.” En fouillant un peu, on retrouve la dite dénomination : Poil-au-con ! Il faut dire qu’à cette époque, le bon sens prime : la rue des Poissoniers désigne la rue… des poissoniers, tout comme la rue des Moutons, rue des Figuiers, etc.
Mais le dico a été écrit au 19e siècle, période terriblement coincée : “Lorsque la ville se “modernise”, la pudibonderie publique reprend le dessus. Le premier signe clair est le changement de nom des rues à bordels du quartier des Halles”, raconte Andrew Hussey, auteur de “Paris, ville catin (Ed. Max Milo, 2007)”. Adieu donc Poil-au-con. Adieu à la rue Tire-Vit, qui devient Tire-Boudin. Pour la petite histoire, les riverains voulaient se débarasser de ce nom trop olé olé et ont donc proposé de renommer leur rue “Grand-Cerf”. Le hic, c’est que dans une missive au préfet, en 1809, le ministre de l’Intérieur estime que cela “rappelle l’enseigne d’une auberge” et baptise la rue Marie-Stuart. Plus chic, c’est sûr.
En fait, si au Moyen-Âge, la fonctionnalité d’une rue prime pour la nommer, dès le 17e siècle, le pouvoir décide de s’y intéresser, et les noms de rue peuvent servir à rendre hommage à la royauté ou à des personnalités importantes.
Adieu donc à la rue Gratecul (ou Gratecon) ! C’est à l’angle de cette rue que Marguerite Gourdan, dite la Petite Comtesse, et une de ses amies entremetteuse avaient installé en 1774 une maison close dite maison de Madame Gourdan. La rue est aujourd’hui la rue Dussoubs. Un dernier pour la route : la rue Pute-y-Musse. Si l’on se plonge dans notre dictionnaire de 1844 on apprend que : “Ces mots Pute-y-Musse signifiaient fille publique ou put… s’y cache”. Aujourd’hui, elle s’appelle Le Petit Musc.
Le Baron Haussmann lessive les noms scatologiques
Andrew Hussey explique que les rues évoquant la prostitution n’ont pas été les seules à passer à la javel : “La série scatologique des rues Merdeuse, Merdelet, Chieur et Chiard disparait complètement du plan de la ville rationnelle et hygiénique d’Haussmann”.
Aujourd’hui, certaines rues changent de nom, mais pour d’autres raisons : il peut s’agir d’une volonté de féminiser l’espace public, encore fortement trusté par les « grands hommes ». Un article de Slate nous rappelle que “les femmes ne représentent pour l’instant que 15 des 200 noms de personnalités les plus donnés à nos rues”. Ainsi, certaines mairies ont décidé de s’attaquer au problème, comme celle de Villeurbanne qui veut nommer paritairement toute nouvelle artère. Autre motif de discorde : les rues portant le nom d’armateurs négriers : il y en a 22 à Bordeaux, et 11 à Nantes (les deux plus grands ports négriers français) ! Si des assos militent pour rebaptiser ces rues, l’option choisie par les autorités bordelaises, après concertation, sera plutôt d’apposer une plaque expliquant l’histoire de ces familles esclavagistes.
De quoi faire réfléchir lorsqu’on se balade en ville !