En mars 2020, Anne-Sophie Thomas, 31 ans, a cofondé avec son frère Emmanuel l’entreprise Gestia solidaire, qui vise à rendre le logement accessible à tous et toutes, en donnant des garanties aux propriétaires souhaitant agir de manière plus solidaire, en-dehors de la bulle spéculative du marché immobilier.
Qu’est-ce que Gestia solidaire ?
C’est une entreprise immobilière privée investie dans l’économie sociale et solidaire, qui propose de rendre accessible le logement, particulièrement à celles et ceux qui sont coincés dans « l’entre-deux ». C’est-à-dire aux personnes qui ne sont pas prioritaires pour un logement social, mais dont le dossier est pourtant rejeté par une agence classique parce que ce sont des étudiants sans garants, des actifs sans CDI ou qui ne gagnent pas trois fois le montant du loyer.
On leur propose des logements avec des loyers inférieurs à ceux du marché, grâce à des propriétaires de biens partants pour faire du logement solidaire, à qui on offre des garanties et des contreparties fiscales. Pour l’instant, nous sommes présents à Lyon, où nous avons commencé, et à Paris, en rayonnant sur les communes alentour.
Quel parcours vous a conduit à créer cette entreprise ?
C’est lié à notre parcours personnel avec mon frère, d’étudiants puis de jeunes actifs. Nous étions aussi dans « l’entre-deux ». Et c’est vraiment compliqué de faire ses études tout en devant commencer à travailler pour avoir un logement. Je me suis dit qu’il devait y avoir toute une partie de la population dans notre cas… Je viens du secteur de l’immobilier solidaire aussi. J’ai eu la chance de travailler pendant six ans chez Etic, une entreprise qui en faisait dans le secteur tertiaire. Ça m’a permis de découvrir cette possibilité de créer des structures d’économie mixte à impact positif, qui permettent d’éviter de sur-spéculer sur l’immobilier. Je me suis aussi inspirée d’Habitat et Humanisme, une association qui propose des logements pour des personnes en grande difficulté sociale. Mais entre ce public et l’univers du tertiaire, il manquait une branche entre les deux, c’est à elle que s’adresse Gestia solidaire.
Quelles sont les garanties et contreparties que vous offrez aux propriétaires ?
On utilise la loi Loc’Avantage, qui permet de louer moins cher un logement, tout en obtenant un crédit d’impôts. Ainsi, le propriétaire ne perd pas d’argent, malgré un loyer plus modéré. Cette loi est peu connue et peu utilisée, car c’est assez long à faire sur le plan administratif. Pourtant, elle permet d’agir sur le parc immobilier, détenu en grande partie par des particuliers, et d’éviter la surspéculation. Mais aujourd’hui, le marché est tellement tendu qu’un propriétaire peut louer son bien en 24 heures. Alors si pour faire du solidaire, il se rend compte que c’est une usine à gaz, il va laisser tomber…
C’est pour cela qu’on propose de prendre en charge ces étapes à la place des propriétaires, pour faciliter l’utilisation du dispositif. Ensuite, nous mettons en place avec chaque locataire la garantie Visale, qui permet de couvrir les versements auprès des propriétaires en cas d’impayés ou de dégradations non remboursées par les locataires. Nous agissons également comme n’importe quelle agence immobilière, en effectuant le suivi en cas de problème dans le logement.
Quel est le profil des propriétaires avec lesquels vous travaillez ?
Beaucoup sont des propriétaires qui ont fait un emprunt, que le loyer rembourse en partie. C’est pour ça que la garantie Visale est très importante dans le processus. La plupart sont aussi des personnes qui partagent nos valeurs. Elles travaillent beaucoup dans l’économie sociale et solidaire, sont cadres, ont un bon niveau de vie aujourd’hui, mais elles ont pu avoir des difficultés pour louer aussi des logements par le passé, donc elles se rendent compte du problème et de la nécessité de changer un peu le système. Mais notre but, c’est d’élargir cette base, pour faire en sorte que la location solidaire soit plus répandue et accessible.
Quelles sont les premières démarches à entreprendre pour celles et ceux qui sont intéressés en tant que propriétaire ou locataire ?
Un propriétaire intéressé peut se rendre sur notre site et prendre directement rendez-vous avec nous depuis la page d’accueil. Un conseiller de Gestia solidaire le rappellera, durant 10 à 15 minutes. Un audit complet sera ensuite réalisé sur son logement et ses possibilités. Cinq à dix jours plus tard, nous sommes normalement en mesure de prendre son bien en gestion. Le but, c’est que les démarches soit simples, pour lever le frein des démarches administratives, et que le propriétaire sache clairement à combien son bien va être loué, quel impact cela aura sur sa fiscalité.
Pour les locataires, Gestia Solidaire offre un service d’accompagnement à celles et ceux qui cherchent un logement à Paris et à Lyon, où nous sommes présents pour l’instant, et s’ils sont étudiants sans garant, actifs sans CDI, ou famille monoparentale gagnant moins de 1500 euros nets. Il faut alors remplir une fiche locataire en ligne, puis nous établissons un dossier permettant de bénéficier d’un dispositif d’aides. Nous les contactons dès que nous avons un logement correspondant à leur demande ou ils peuvent nous faire signe dès que l’une de nos offres leur convient. Nos honoraires ne sont que de 280€, bien moins qu’une agence classique et le loyer sera aussi plus modéré.
Quels sont les projets de développement ?
On prépare une levée de fonds pour se développer ailleurs sur le territoire national, à Lille, Bordeaux et Marseille, ainsi qu’en Martinique et Guadeloupe, où il y a aussi de vraies difficultés d’accès au logement. C’est une levée de fonds grand public : tout le monde peut investir pour obtenir des parts, avec un retour sur investissement trimestriel et un retour d’ici à cinq ans de la somme investie. On travaille aussi sur un premier programme de construction de logements neufs, pour permettre à des personnes qui ont un peu d’argent à placer, mais pas forcément de bien, de contribuer à cette logique de logement solidaire.