De l’art…. vert? Un tableau végétal, une sculpture en fleur ? C’est un peu court ! Alice Audouin, co-fondatrice de l’association Coal, « coalition pour l’art et le développement durable » fait le lien, grâce à une nouvelle génération d’artistes, entre la sphère de l’art contemporain et celle du développement durable.
Le jeudi 10 avril, leur prix annuel a été décerné à Åsa Sonjasdotter. Elle propose tout bonnement de célébrer la pomme de terre, féculent de la révolution française, avec High Diversity et de réimplanter sa culture partagée au cœur historique de la capitale.
Lier écologie et art, ce n’est pas très courant… une alliance contre nature?
« En 2004, lorsque j’ai démarré cette thématique, je pensais être seule. Mais non, il y avait aussi Loïc Fel, qui préparait un doctorat sur l’esthétique verte, et des chercheurs comme Nathalie Blanc…10 ans plus tard, nous sommes un peu plus nombreux, mais ce n’est pas non plus phénoménal ! Cette alliance va de soi, au contraire, car les enjeux environnementaux sont un axe de travail passionnant pour les artistes.
Cette rencontre de ces deux concepts est-elle récente ? Avant-gardiste ? Ou est-ce que ses origines sont plus lointaines ?
Il y a plusieurs dates. Mais pour moi, l’origine serait plutôt le mouvement des Pre-Raphaelites (Hunt, Millais…) qui a placé pour la première fois dans le contexte de la société industrielle l’idée de la responsabilité de l’artiste, de son engagement sur des enjeux sociaux. Cela me semble difficile de relier le mouvement actuel à une période précédant la révolution industrielle, car c’est elle qui nous plonge dans l’anthorpocène, ce moment géologique nouveau dans lequel l’homme modifie le climat. Le Land Art est souvent perçu comme le mouvement de référence, mais c’est selon moi une erreur, car même si le paysage sert de matériau pour une sculpture, cela n’implique pas forcément une démarche environnementale. Je vois davantage de lien avec le Buto, cette danse japonaise directement issue des bombardements nucléaires, là encore, c’est la question du pouvoir de l’homme sur l’humanité et la planète qui est en jeu.
Cet art, vecteur d’un message environnemental, permet-il de toucher d’autres public que ceux déjà sensibilisés aux enjeux environnementaux ? Estimez-vous qu’il touche les gens d’une autre manière, peut être plus sensible et émotionnelle ?
Bien sûr et c’est le but. Changeons des eco-gestes et des discours scientifiques, déclenchons l’imagination, la sensibilité.
L’art a-t-il perdu sa vocation éclairante, d’alerte ?
De manière générale, sans doute mais il la retrouve avec l’environnement ! Ce que j’aime dans cette mouvance à laquelle je participe, c’est qu’elle ravive le rôle, l’engagement mais aussi la dimension visionnaire et imaginative de l’artiste.
L’art peut-il rendre le monde plus écolo ?
Une envie collective d’avenir est possible, dans un déplacement du jeu de l’individuel vers le collectif, de la possession vers le partage (du temps de travail, de la consommation …) si elle s’ancre avant tout dans des valeurs symboliques fondatrices et mobilisatrices. Il s’agit de créer une culture qui émerge de la conscience de ce que pourrait être un monde meilleur. Dans cette approche culturelle du changement, le rôle du secteur culturel est lui-même prioritaire. En tant que sources privilégiées de création, circulation et diffusion des approches symboliques, sensibles et des représentations du monde, l’art et la culture jouent un rôle central dans la transformation des modes de vie.
Le film « Avatar » en 2010 a su massivement sensibiliser sur le rapport homme – nature, en dénonçant les conséquences environnementales des sociétés militaro-industrielles et en invitant à une nouvelle alliance.
Promouvoir l’art écolo, c’est l’opportunité d’influencer au développement durable d’autres secteurs, qui scrutent justement les évolutions artistiques ?
Oui ! La mode, la décoration, le design, tout ce qui est influencé par l’art, mais surtout les modes de vie, les représentations, la manière de classer ce qui est enviable ou non, cool ou non, in ou out.
Ceux qui sont in pour moi sont dans l’intelligence collective, le faire ensemble, la solidarité, l’autoconsommation, l’upcylcing, l’économie circulaire, le partage, ce sont ceux qui fabriquent leurs objets avec des imprimantes 3D , qui font des objets en énergie open source, qui soutiennent des projets via le crowdfunding, les adeptes du DIY*… c’est tout ce monde-là qui est passionnant.
Pourquoi avoir voulu créer une association et un prix ?
Avec mes co-fondateurs, nous voulions jouer le jeu du marché de l’art, pour faire avancer la reconnaissance de ce mouvement artistique, donc l’idée d’un Prix s’est imposé à nous. »
*Do It Yourself, terme anglais pour le « Fait soi-même »