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Entretien

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Serge Zaka : « Ce n’est pas aux agriculteurs de toujours s’adapter, mais à la société entière »

"Si les agriculteurs sont sûrs que leur récolte sera achetée, ils vont progressivement changer leurs habitudes."

Serge Zaka, l'agroclimatologue qui anticipe les changements à venir dans l'agriculture © Archive personnelle

Paru le 29 août 2023

Ecrit par Mathilde de Mon Quotidien Autrement

Figure reconnue avec son chapeau de cow-boy, l’ingénieur agronome et docteur en agroclimatologie Serge Zaka est très attaché à la transmission de ses savoirs. Sur ses réseaux sociaux, il multiplie les publications afin de vulgariser des notions scientifiques importantes concernant les impacts du réchauffement climatique sur l’agriculture.

À Mon Quotidien Autrement, il explique son travail et ce que celui-ci permet d’anticiper. Loin d’être morose, il esquisse un nouveau paysage de l’agriculture française, transformée face à ces enjeux. À condition que l’État se retrousse les manches.

Comment définissez-vous l’agroclimatologie, dont vous êtes spécialiste ?

D’abord, l’agroclimatologie se distingue de l’agrométéorologie, qui étudie les impacts de la météorologie sur l’agriculture. L’agrométéorologie permet par exemple de connaître les risques de gel, de sécheresse ou de grêle dans les jours à venir et d’anticiper ce qu’il faut faire. C’est une discipline qui se base sur du court terme et dont le but permet à l’agriculteur de prendre des décisions au jour le jour pour conduire ses cultures.

L’agroclimatologie, elle, a une visée politique et sociale au niveau agricole. Elle permet par exemple de connaître l’évolution de la date de floraison des différents arbres d’ici à 2100 ou de savoir si l’avancée de la floraison de diverses espèces induit plus de risques de gel après que cette floraison ait eu lieu. Les études en agroclimatologie permettent aussi de savoir quel type de verger il faut planter dans quel territoire en prévision des données climatiques en 2050 ou s’il sera possible de planter des kiwis dans le nord de la France. C’est très visionnaire. L’agroclimatologie essaye d’anticiper au maximum pour éviter d’avoir des dégâts. Ce qui est certain en tout cas, c’est que le paysage agricole français actuel ne sera pas du tout le même en 2050.

Quel effet la hausse des températures a-t-elle concrètement sur les cultures céréalières comme maraîchères ?

La hausse des températures joue sur la phénologie des végétaux. Quand les températures évoluent, les différents stades de développement de la plante évoluent aussi. Par exemple, la floraison a avancé de 10 à 20 jours suivant les espèces depuis 50 ans. Cela induit des décalages de périodes de culture et des pratiques agricoles. C’est-à-dire que pour le blé, on peut décaler la date de semis. Ou pour le maraîchage, on peut mettre les légumes plus tôt en champ pour éviter les fortes chaleurs en été.

La hausse des températures a aussi un impact sur les extrêmes thermiques, comme les canicules. Ces extrêmes induisent de plus en plus de stress thermique et des pertes de rendements. La plupart des végétaux ont en effet une courbe de réponse à la température en cloche, entre 0 et 30°C en moyenne. Plus il fait chaud, plus leur vitesse de croissance est forte. Mais à partir de 30°C et jusqu’à 40°C, la vitesse de croissance ralentit car il fait trop chaud. Puis au-delà, la croissance s’arrête. La plante se met en pause car il fait trop chaud. Elle vit une situation de stress thermique. Les fleurs vont sécher et mourir et ce sera autant de fruits et légumes en moins.

À quoi l’agriculture française ressemblera à l’avenir ?

Si on reste sur les mêmes cultures jusqu’en 2050, on fonce droit dans le mur. Mais il n’y a pas que des points négatifs au changement climatique. Avec les températures qui augmentent par le sud, les zones biogéographiques, ou aires de répartition des espèces, remontent par le nord. C’est le cas par exemple pour le citronnier, l’olivier ou la pastèque. Tandis que les zones de l’oignon, de la pomme de terre, du brocolis ou du choux de Bruxelles, disparaîtront peut-être de France.

Il y a aussi une hausse des rendements attendus pour certaines espèces, sur certaines parties du territoire. Car le CO2 est un fertilisant pour les végétaux. Il favorise la photosynthèse et donc leur croissance. Cela aura donc des impacts positifs dans le nord de la France. Par contre, dans le sud du pays, le stress hydrique domine plutôt sur l’effet du CO2. On assiste donc plutôt à une baisse des rendements sur ce territoire.

Mais plus on anticipe, plus on peut tourner cet effet négatif de la perte de rendements vers du positif. En changeant des cultures comme le maïs ou le blé par du sorgho ou tournesol par exemple. Ou bien en remplaçant l’abricot par la pistache, ou en développant davantage la culture de la figue, de l’olive, de la vigne… Toutes ces espèces qui ne sont pas forcément encore présentes dans le sud de la France vont y arriver.

Mais comment le monde agricole peut-il concrètement anticiper ces changements ?

Ce n’est pas aux agriculteurs de toujours s’adapter, mais à la société entière. Car ce n’est pas le climat qui va guider les agriculteurs vers de nouvelles cultures, mais la mise en place de nouvelles filières économiques pour leur servir de débouchés. Si les agriculteurs sont sûrs que leur récolte sera achetée, ils vont progressivement changer leurs habitudes.

Dès à présent, il faut donc anticiper l’arrivée de nouvelles cultures en créant de nouvelles filières économiques. Mais entre la mise en place des cultures, de la récolte, du stockage, de la transformation, des transports et la revente à des magasins locaux, nationaux ou internationaux, on sait qu’il faut 15 à 30 ans pour que celles-ci s’installent. C’est à l’État en réalité d’instaurer dans chaque région les nouvelles filières permettant d’anticiper les effets du climat.

À lui aussi d’encourager le développement de nouvelles pratiques pour avoir des sols plus vivants, pour planter plus de haies et d’arbres afin de couper le vent et de faire de l’ombre, pour gagner en efficacité sur l’irrigation quand elle est nécessaire…

Attention aussi : on peut s’adapter, mais jusqu’à une certaine marge de manœuvre. Si le réchauffement climatique continue, on atteindra la limite physiologique de résistance de certaines espèces, qui vont tout simplement disparaître. C’est le rôle des responsables politiques également de réduire les gaz à effet de serre au niveau mondial.

Avis sur : Serge Zaka : « Ce n’est pas aux agriculteurs de toujours s’adapter, mais à la société entière »

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