On les dit ravageurs, envahissants, nuisibles. Tous les trois ans, le gouvernement établit une liste des “espèces susceptibles d’occasionner des dégâts” (Esod). En août dernier, il a désigné neuf animaux nuisibles *. Quatre mammifères et cinq oiseaux. La martre des pins, la belette, la fouine, le renard roux, la pie bavarde, le geai des chênes, la corneille noire, le corbeau freux et l’étourneau sansonnet. Une fois sur cette liste, ces animaux peuvent être chassés toute l’année, en quantité illimitée. Près de 2 millions d’oiseaux et de mammifères sauvages sont ainsi tués en France chaque année. 500 000 renards. Un million de corneilles et de corbeaux. Plus de 200 000 geais et pies. 100 000 étourneaux…
Que reproche-t-on à ces “nuisibles” ?
Ces animaux sont inscrits sur la liste des “Esod” car on estime qu’ils portent atteinte à “la santé et à la sécurité publiques, à la protection de la flore et de la faune ou aux activités agricoles, forestières, aquacoles, et à d’autres formes de propriété”. Concrètement, on reproche par exemple au renard et aux martres leur penchant pour les poules. Les corneilles et les corbeaux seraient de leur côté responsables de dégrader les cultures en dévorant les graines.
Pourquoi cette liste est-elle critiquée ?
Deux millions d’animaux sauvages sont tués, pour environ 20 millions d’euros de dégâts déclarés, soit à peine 10€ par victime, déplore la LPO. L’efficacité de leur destruction n’est de plus pas démontrée. Par ailleurs, “les risques pour leur état de conservation ne sont jamais évalués et leur importance dans le fonctionnement des écosystèmes naturels n’entre pas en ligne de compte.”
Et si les animaux nuisibles nous étaient en réalité utiles ?
Prenons l’exemple du renard et de la belette. Leur régime alimentaire est à 80 % composé de mulots et autres rongeurs, qui détériorent les champs. En chassant ces petits animaux, qui transportent souvent des tiques, ils régulent aussi naturellement la maladie de Lyme. Quant au geai des chênes, il est souvent considéré comme le premier planteur d’arbres de France ! Ce passereau forestier possède sous son bec une petite poche capable de transporter des glands qu’il dissimule à l’automne un peu partout sur son territoire, afin de constituer des réserves de nourriture pour l’hiver. Ceux qui ne sont pas consommés deviennent au printemps de nouveaux chênes, contribuant à la régénération des forêts. Il joue aussi le rôle de protecteur des autres animaux en donnant l’alerte par un cri lorsqu’un intrus pénètre sur le territoire
Pourquoi le putois n’est plus considéré comme un animal nuisible ?
Jusqu’en 2021, le putois faisait lui aussi partie des animaux à faire disparaître toute l’année. Le problème, c’est que depuis 2017, ce même animal est également classé comme “quasi menacé” sur la liste rouge de l’Union international pour la conservation de la nature (UICN). Un déclin en grande partie dû au piégeage et à la dégradation de son habitat. De quoi renforcer les doutes sur la pertinence de cette liste de “nuisibles”.
Depuis quand parle-ton de « d’animaux nuisibles » ?
Le débat sur les animaux nuisibles remonterait au XIXᵉ siècle. « On se met à considérer les autres êtres vivants comme des machines en mettant l’homme au centre du monde et on va juger tous les autres êtres vivants en fonction du profit matériel que l’homme peut en espérer, explique Rémi Luglia, professeur agrégé d’histoire et auteur de Sales bêtes ! Mauvaises herbes!, sur France Inter. On va ainsi catégoriser des espèces nuisibles et des espèces utiles. Conserver les unes et éradiquer les autres, parce qu’altérant la vie des humains. […] La notion de nuisible, c’est une catégorisation humaine qui n’est pas du tout scientifique, elle est avant tout politique, sociale, économique ».
*A ces “Esod”, il faut ajouter le chien viverrin, le vison d’Amérique, le raton laveur, le ragondin, le rat musqué, la Bernache du Canada. Ces espèces non indigènes, qui ont tendance à dégrader les écosystèmes, sont considérées comme nuisibles depuis 2016. Le sanglier, le lapin de garenne et le pigeon ramier font quant à eux l’objet d’un arrêté annuel.