Des poissons dans les canaux de Venise ! Des dauphins dans le port de Sardaigne ! Des oiseaux qui piaillent dans les rues désertes des grandes villes ! Calme oblige, les animaux sauvages ont déboulé en ville : on nous l’a répété à longueur d’articles lors du premier confinement. En réalité, voilà des années que la frontière entre monde sauvage et humanité se brouille.
La philosophe Joëlle Zask y a consacré tout un livre : Zoocities, des animaux sauvages dans la ville (éditions Premier parallèle, 2020). Elle résume :
Voilà que la ville, conçue dans sa structure même pour les repousser, parvient à attirer les animaux sauvages. Victimes d’un exode rural, opportunistes ou réfugiés climatiques, ils y cherchent plus qu’un refuge. Ils y cherchent, que nous le voulions ou non, un habitat.
Et elle égrène la venue de ces intrus (mais le sont-ils vraiment ?) dans nos milieux urbains : un renard roux sur la ligne 8 du métro parisien, des rouges-queues noirs à Londres, des sangliers à Berlin, des aigles à New York… Faut-il s’en réjouir ? Bien au contraire, leur présence est une preuve de la dégradation incessante de la nature. Agriculture industrielle, pesticides à gogo, artificialisation des sols, chasse soutenue mais aussi autoroutes, fils barbelés, forêts clôturées… Comme dans le conte de Babar (l’histoire d’un éléphant vert qui s’exile) la jungle est-elle dangereuse, et la ville, un refuge ?
La ville grignote le monde
En même temps que la campagne devient hostile, elle rétrécit. La ville grignote le monde : les espaces sauvages n’occupent plus que 23 % de la superficie de la Terre, contre 85 % il y a un siècle. Chaque jour, ce sont 110 hectares de terrain qui sont mangés par l’extension des villes. Des chiffres rappelés dans une chronique par Corinne Morel Darleux, conseillère régionale Auvergne – Rhône-Alpes et autrice de Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (Libertalia, 2019). L’écologiste nous enjoint à « repenser les frontières » et rappelle :
De plus en plus d’animaux sauvages risquent d’être condamnés à partager les mêmes zones que nous. Nous qui avons mité leurs territoires d’axes routiers, d’oléoducs et de mégalopoles. Nous avons coupé les forêts, dépeuplé les rivières et fait fondre la banquise.
Abeilles ou moutons urbains… Seul l’animal productif est accepté
Après avoir détruit leur habitat, ne faut-il pas les accueillir à bras ouverts ? La question se pose car jusqu’à présent, l’animal a toujours été vu comme une présence ingrate en ville. Léa Mosconi, architecte et chercheuse, détaille dans une interview au site spécialisé AMC l’ambivalence humaine vis-à-vis des animaux :
La ville tolère, accepte, voire exhibe certains animaux : l’animal domestique est toléré, l’animal productif est accepté (on peut prendre l’exemple des ruches, des bergers urbains), l’animal captif en représentation est exhibé (au zoo, au cirque). En revanche, l’animal qui, en se soustrayant au contrôle humain, nous renvoie d’autant plus à son animalité, est invisibilisé.
Alors, que faire pour cohabiter en paix ? Cohabiter, et pas seulement avec le gentil toutou ou la jolie abeille, mais avec tous les animaux, dont les sauvages. La question est vaste ! A notre échelle, on peut déjà, que l’on vive en ville ou à la campagne, favoriser la biodiversité locale pour que les espèces n’aient pas besoin de migrer.
- plantez des plantes mellifères, installez des hôtels à insectes…
- soutenez l’Aspas, l’association pour la protection des animaux sauvages
- ne tondez plus votre pelouse – ou beaucoup moins !