L’État français sera-t-il condamné pour « empoisonnement », lui qui a autorisé l’utilisation du chlordécone, un pesticide ultratoxique aux Antilles ? C’est la question, lancinante, que se posent habitants et associations environnementales depuis de longues années. On fait le point sur ce scandale :
Le chlordécone, c’est quoi ?
Cet insecticide était utilisé contre le charançon dans les bananeraies et y a été autorisé entre 1972 et 1993, alors que sa toxicité était connue de l’État français depuis 1975.
Quelles conséquences sanitaires ?
Plus de 90 % de la population adulte antillaise est contaminée selon une étude de Santé publique France publiée en 2018. Prématurité, troubles du développement, cancers – les Antilles présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde – le chlordécone est un perturbateur endocrinien aux multiples conséquences sanitaires. Les États-Unis l’ont interdit dès 1975, et l’Organisation mondiale de la santé l’a classé « cancérogène possible » dès 1979. Le 20 mars dernier, une nouvelle étude associant chercheurs de l’Inserm et cliniciens du CHU de la Guadeloupe est parue dans la revue International Journal of Cancer. Et affirme à nouveau le caractère cancérigène de ce pesticide.
Il est interdit depuis 1993, pourquoi y aurait-il encore des problèmes ?
L’une de ses particularités, c’est qu’il s’immisce partout : dans les rivières, dans les sols, et donc dans la viande, les œufs, les poissons, les légumes racines… Ultra persistant, il reste dans l’environnement possiblement pendant… sept cents ans. L’étude de Santé publique France détaille : “Une augmentation des niveaux d’imprégnation par la chlordécone est observée avec la consommation de poissons (toutes espèces confondues), en particulier ceux issus de l’autoproduction, de dons, d’achat en bord de route et dans des petits marchés en zone d’interdiction de pêche.” Les plus contaminés sont donc ceux qui passent par des circuits informels d’achat et de vente de nourriture. En bref, les plus pauvres.
Où en est le combat judiciaire aujourd’hui ?
Récapitulons. L’État français autorise l’utilisation du chlordécone jusqu’en 1993 alors que de nombreuses études avaient démontré la toxicité de l’insecticide. Les États-Unis en avaient d’ailleurs interdit l’usage en 1976.
De 1993 à 2004, l’État français aurait tout fait pour passer sous silence ce scandale sanitaire. Aucune communication n’est faite sur le sujet. En conséquence de quoi, ce n’est qu’en 2006 que des associations (dont le Kolèktif Doubout Pou Gwadloup et l’Association pour une écologie urbaine) se mobilisent et déposent une plainte contre X.
Rebondissement mi mars 2021 après des années d’enquêtes et d’auditions : « Compte tenu des délais de prescription alors en vigueur, à savoir 10 ans pour les crimes et trois ans pour les délits, la grande majorité des faits dénoncés était déjà prescrite » lors du dépôt des plaintes en 2006, arguait le 16 mars le procureur de Paris.
Un coup dur pour les parties civiles, qui rétorquent : comment auraient-elles pu se mobiliser avant, vu que l’État français avait « dissimulé » la toxicité de ce pesticide de 1993 à 2004 ? Ce n’est d’ailleurs qu’en 2008 que le premier « plan chlordécone » a été mis en place pour essayer de réduire l’exposition de la population à l’insecticide. De plus, « la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a cessé », ont rappelé les avocats. Or, celle-ci se poursuit étant donné l’empoisonnement continu des sols et des eaux antillais…
Après une grosse manifestation fin février en Martinique, ayant rassemblé plusieurs milliers de personnes, les associations et syndicats ont de nouveau appelé à manifester le 10 avril. Leur slogan : «Pa pou ni preskripsyon ! Jijé yo ! Kondané yo! (Il ne doit pas y avoir prescription ! Jugez les ! Condamnez les !) ».
L’État français, responsable du scandale sanitaire et environnemental ?
« L’État a fait subir des risques inconsidérés, au vu des connaissances scientifiques de l’époque, aux populations et aux territoires de Guadeloupe et de Martinique », pointait en effet un rapport parlementaire en 2019, fruit de six mois d’auditions et plus de 150 personnalités interrogées. Il soulignait que « le maintien de la production bananière a trop souvent pris le pas sur la sauvegarde de la santé publique et de l’environnement ».
Il faut encourager l’achat et la consommation de la banane de Guadeloupe et de Martinique . Le pesticide est ABSENT dans le fruit, ce qui ne ressort pas de vos propos très justes par ailleurs.
Soutenons la production antillaise française et responsable.
Que savons- nous des productions des pays émergents aux prix attractifs mais cachant l’utilisation de produits chimiques et une main d’œuvre sous- payée.
Bonjour, merci pour votre commentaire. Effectivement, une étude du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) a montré que la contamination est nettement plus importante pour la peau que la pulpe et que l’épluchage permet donc de diminuer significativement l’exposition du consommateur : http://agents.cirad.fr/pjjimg/magalie.jannoyer%40cirad.fr/2_1rapport_JAFA.pdf
Et oui, il faut soutenir les filières responsables des Antilles !