Face au manque d’eau à Mayotte, le témoignage d’une habitante

Camille Déchin-Hervouët, 36 ans, habite depuis ans et demi à Mayotte, où elle est cadre dans une association. Subissant concrètement la pénurie d’eau sans précédent que connaît l’île actuellement, elle témoigne auprès de Mon Quotidien Autrement.

« Normalement, Mayotte connaît une saison des pluie de janvier à mars, mais cette année, elle a été tardive et la plus sèche depuis des années [1997, selon Météo France]. Les deux retenues collinaires qui servent à alimenter l’île le reste de l’année n’ont donc pas été assez rechargées. Et il y a bien une usine de dessalement de l’eau de mer aussi sur Petite Terre, mais elle ne fournit pas les 5000 m3 promis lors de sa construction. Et puis les infrastructures sont vétustes et ne sont pas adaptées à la croissance de la population qu’a connue l’île ces dernières années.

Un jour sur trois avec de l’eau

Si bien que cette année, au lieu d’avoir un rétablissement de l’eau entre avril et janvier comme d’habitude, nous avons connu des coupures d’eau de plus plus en longues et nombreuses. À partir de 18h au début, puis trois fois par semaine et aujourd’hui nous n’avons de l’eau qu’un jour sur trois, entre la fin de l’après-midi et le milieu de la matinée. Encore faut-il que les horaires soient respectés et qu’il y ait assez de pression… Les personnes qui vivent en haut d’une colline ou d’un réseau n’en ont parfois plus du tout.

Pour faire face à cette situation, il faut avoir de quoi stocker l’eau quand les robinets en fournissent ou pour récupérer l’eau de pluie. Dans ma famille, nous avons des bidons de 20 litres que nous avons achetés en arrivant ici, en prévision des coupures habituelles. Récemment, nous avons acheté deux grosses poubelles de 150 litres et une cuve de 300 litres qu’on a posée sur le toit, qui se remplit au moment où la pluie revient.

Une eau rouge distribuée par les robinets

L’eau qui coule dans les robinets est rouge, car il y a trop de boue infiltrée dans les réseaux. L’ARS [L’Agence régionale de santé] nous dit qu’elle est potable si on la fait bouillir. C’est ce qu’on fait, mais malgré ça, mes quatre enfants font des gastro à répétition. Alors, on économise la moindre goutte. Toute l’eau de pluie récupérée nous sert pour les douches, qu’on prend dans un baquet. De l’eau qu’on récupère encore pour tirer les chasses d’eau. Pareil avec l’eau de la vaisselle qui est réutilisée.

Parce que l’eau en bouteille est à un coût exorbitant ici. Le pack de six bouteilles coûte entre 6 et 12 euros. Pourquoi n’est-il pas gelé au même prix qu’en métropole ? Pourquoi y a-t-il toujours des droits de douane sur cette denrée vitale ? Pourquoi n’avons-nous droit qu’à des bouteilles de 1 litre plutôt qu’1,5 litre comme en métropole et à aucune bonbonne d’eau ? Pourquoi il n’y a pas de subvention comme dans certaines régions de métropole pour installer une cuve de récupération des eaux de pluie ?

Un quotidien rythmé par la ressource en eau

77 % de la population ici vit sous le seuil de pauvreté. Certains n’ont pas les moyens pour faire face à cette situation. Leur quotidien devient rythmé par l’eau : aller à la fontaine ou à la rivière. Parfois ils n’ont pas les moyens de faire bouillir l’eau. Des écoles sont obligées de fermer certains jours, car elles ne sont pas équipées en cuves. Le discours que les autorités nous servent, c’est de demander toujours plus d’efforts. Tout en louant la « résilience » des Mahorais.

Pourtant, il existe des solutions, comme les générateurs d’eau atmosphérique, qui pompent l’humidité de l’air et peuvent produire jusqu’à des centaines de litres d’eau par heure. Pourquoi Mayotte n’en est pas plus équipée ? Pourquoi les droits de douane ont été augmentés sur cette machine alors que c’est une véritable alternative aux bouteilles en plastique pour avoir de l’eau potable ?

D’une certaine façon, je positive en me disant qu’avec ma famille, nous sommes entraînés à considérer l’eau comme une ressource rare. Nous sommes prêts pour faire face aux manques auxquels tout le monde va être confronté un jour. »