Pierre Leroy est élu local dans un territoire montagneux et rural du sud de la France, le Briançonnais. Entre 2008 et 2020, il a été maire (sans étiquette) de Puy-Saint-André, une commune d’un peu moins de 500 habitants. Aujourd’hui deuxième adjoint à la mairie, mais aussi délégué à la transition écologique et aux mobilités de la communauté de communes du Briançonnais et président de l’Association du pays du Grand Briançonnais, il tente d’agir à différentes échelles. Dans son livre Passage délicat, publié en 2021 aux éditions Actes sud, il développe sa vision de l’action climatique et les mesures qu’il a participé à mettre en place. Repenser le territoire en usant du collectif, en concertation avec les citoyens, c’est pour lui la clef d’une politique écologique.
Comment vous est venu votre engagement écologique ?
C’est de l’histoire ancienne. Il se trouve que j’ai eu un accident de parcours, dans le sens où ma femme, avec qui j’étais marié depuis quinze jours, a eu un cancer. Je me suis alors intéressé à la santé environnementale et à tout ce qui concernait l’écologie. Ensuite, j’ai eu tout un parcours de militant durant lequel il m’est arrivé d’attaquer les collectivités locales sur des projets délétères ou sur des réalisations, comme par exemple des incinérateurs qui n’étaient pas aux normes. J’ai beaucoup fait contre à cette période. Au bout de quelque temps, je me suis rendu compte que ce n’était pas véritablement ce qui me portait et que j’avais envie de faire pour. Alors, j’ai décidé de prendre le pouvoir et j’ai été élu en 2008. Depuis une quinzaine d’années, je tente de faire des choses pour.
C’est donc vraiment cette envie de « faire pour » qui vous a poussé à devenir élu local ?
Oui, même si je considère que parfois, il est évidemment nécessaire de faire contre et que chacun a sa place. Je pense qu’il est important de s’interroger tout le long de sa vie sur quelle est notre place, sachant qu’elle n’est pas fixe. C’est pour cela que j’ai bougé, moi aussi, en fonction de l’évolution.
Comment avez-vous appliqué votre militantisme en étant maire du Puy-Saint-André ?
Pour moi, la chose la plus importante c’est la cohérence. Donc, petit à petit j’ai transformé ma façon de vivre au quotidien pour être en adéquation avec les idées que je prônais. Je n’ai plus de voiture depuis cinq ans, ma maison produit trois fois l’énergie qu’elle consomme, j’ai un jardin potager, des poules, j’héberge chez moi des jeunes en cohabitation, etc. Mon but était d’avoir l’empreinte écologique la plus faible possible. J’avoue que c’est assez enthousiasmant ! La sobriété, c’est difficile d’en parler positivement. Et c’est dommage parce que c’est une expérience très enrichissante à titre personnel et qui permet justement de vivre plus sereinement dans le chaos qui nous entoure.
Aussi, il se trouve que je suis soignant. J’ai toujours considéré d’ailleurs que les maires sont des animateurs et des soignants de territoire. C’est-à-dire que leur rôle, c’est de tenter de prendre soin d’une population et d’un territoire. Quand je parle d’être animateur, il s’agit de faire preuve d’empowerment, de redonner le pouvoir aux citoyens.
Je considère que la démocratie représentative a un sens, mais qu’elle doit impérativement s’accompagner de démocraties participatives. Elles doivent être bien dosées pour permettre aux citoyens de refaire du politique et de se réinvestir dans la vie de la cité. Le citoyen doit retrouver sa responsabilité concernant sa consommation d’eau, d’électricité, d’énergie, sa mobilité, son logement, etc. Si les collectivités locales mettent tout en œuvre pour répondre aux besoins primaires des populations, on résout à la fois la crise climatique, la crise de biodiversité, la crise démocratique et la crise sociale. Ces quatre crises sont interconnectées.
Comment ça se concrétise ?
Si un territoire est en capacité de proposer une mobilité adéquate en zone rurale, les gens peuvent se passer de voiture. S’il est capable de déployer de l’autonomie alimentaire, les habitants peuvent consommer bio et local. Si une collectivité permet de développer du logement avec une isolation adaptée et des énergies renouvelables, il va vers l’autonomie énergétique. Les citoyens en profitent et ils peuvent changer de pratique.
En fin de compte, l’idée c’est de tout mettre en œuvre en tant qu’élu pour permettre aux citoyens de changer de pratique. Ce qui, aujourd’hui, est évidemment loin d’être le cas. Le travail que je mène, c’est donc à la fois de permettre aux territoires de proposer des solutions mais aussi de mettre les citoyens devant leurs responsabilités et de les faire participer à un projet de territoire qui répond vraiment aux enjeux et à leurs besoins.
Ce sont les mesures que vous avez mises en place dans votre commune ?
Pas seulement au niveau de la commune, mais aux différents échelons où je suis présent, oui. La transition écologique, c’est complexe, parce que tout est lié. Reconstruire du commun, c’est ce que l’on doit faire en premier lieu. Le temps nous est compté, mais on travaille sur du temps long. C’est inquiétant et ça déroute beaucoup d’élus.
L’État français est condamné plusieurs fois pour inaction climatique. Chaque jour qui passe, on ne peut qu’être en colère face aux décisions qui sont prises. Pour autant, on a malgré tout des solutions à notre échelle. La difficulté qu’on a aujourd’hui, c’est de proposer un récit qui donne envie de s’y mettre et qui permettrait d’embarquer massivement la population. Et pour autant, à titre personnel, je m’amuse à mettre en œuvre tous les outils qui permettent de vivre en adéquation avec la biodiversité et mon territoire de façon apaisée et respectueuse.
Dans votre commune, comment avez-vous réussi à embarquer la population ?
On a commencé progressivement il y a quinze ans. Il a fallu, en quelque sorte, apprivoiser le citoyen. On a plein d’occasions sur les territoires de pouvoir travailler le collectif. Je pense, par exemple, aux plans locaux d’urbanisme (PLU), aux schémas de cohérence territoriale. On peut construire à travers ces objets, qui ont un rôle réglementaire, mais on peut les faire se transformer en projets territoriaux. C’est ce qu’on a fait sur Puy-Saint-André, le PLU s’est concrétisé par douze ateliers de travail avec les citoyens. Ils ont décidé des zones constructibles, ils ont imaginé les lieux de vie de demain.
La complexité de cette affaire, c’est qu’on a abîmé la démocratie depuis une quarantaine d’années. Le récit de notre société s’est construit autour du consumérisme, de l’entre-soi. Quelque part, on a abandonné le collectif, le commun. Ça nécessite, encore une fois, de travailler sur du temps long. Mais dans le même temps, on est dans une société où tout va vite. C’est un peu le paradoxe : le temps nous est compté, mais on ne peut pas brusquer les choses. Ce n’est pas par des injonctions qu’on va réussir à embarquer. Aujourd’hui, on en paye les conséquences.
Passionnants, ce sont les initiatives locales portées par les individus qui sont changerons le monde.