Eva Morel est secrétaire générale et co-fondatrice de l’association Quota Climat. L’association, née en 2022, milite pour une meilleure représentation des informations environnementales dans les médias français. Pour cela, elle propose différentes mesures pour encadrer cette production médiatique.
Comment est née l’association Quota Climat ?
Quota Climat a été lancé il y a bientôt trois ans, en parallèle de la publication du 6ème rapport du GIEC et du début de la campagne présidentielle de 2022. Avec mes deux autres co-fondatrices, Lola Morel et Anne-Lise Vernières, nous étions collaboratrices parlementaires à l’Assemblée nationale. Nous avons constaté qu’il y avait un lien direct entre la prévalence des enjeux environnementaux dans les médias et la mobilisation de nos responsables politiques sur ces questions.
Étant donné que les sujets relatifs aux enseignements des rapports du GIEC, et plus généralement à la transition écologique, n’étaient pas suffisamment représentés dans les médias, nos responsables politiques étaient très peu sensibilisés. Ils ne proposaient donc pas de mesures ambitieuses pour remédier aux différentes crises environnementales.
Partant de là, nous avons créé l’association avec une proposition fondatrice : instaurer un quota d’informations environnementales dans les médias audiovisuels. Par la suite, nous avons imaginé d’autres axes d’action.
Quels sont ces différents axes d’action ?
Aujourd’hui, nous travaillons aux échelles française, européenne et internationale, en faisant du plaidoyer et en sensibilisant les médias et les journalistes. Nous les interpellons aussi sur des contenus, ce qui est sûrement l’action la plus visible.

À l’échelle française, nous portons une proposition de loi, actuellement défendue à l’Assemblée nationale par une coalition de 80 députés, pour améliorer l’état de la régulation médiatique, sur la désinformation climatique notamment. Nous travaillons également au niveau européen, auprès de la Commission européenne et du Parlement, pour que dans la prochaine directive audiovisuelle (refondue l’année prochaine), il y ait des éléments sur la désinformation climatique. Et puis au niveau de l’ONU, notamment de la COP, nous travaillons à ce que la désinformation climatique soit reconnue comme un risque spécifique, avec des mesures adaptées de la part des États.
Enfin, nous faisons aussi de la production de données. Nous avons lancé l’Observatoire des médias sur l’écologie en novembre dernier, avec plusieurs partenaires, qui permet de suivre en live la couverture médiatique des enjeux écologiques dans l’audiovisuel français. Cette année, nous avons pour projet de l’élargir à la presse écrite.
Pourquoi les quotas concernent-ils seulement l’audiovisuel, et non pas aussi la presse écrite ?
En France, la presse écrite et l’audiovisuel ne sont pas régulés de la même manière. Nous n’avons pas les mêmes outils à disposition. Notre proposition repose sur le fait qu’il y a déjà des modalités de comptabilisation dans l’audiovisuel, notamment en période électorale. Notre idée est de créer une nouvelle couche de comptabilisation sur les questions environnementales, et non pas d’imaginer de nouveaux fonctionnements.
Et puis, nous ne consommons pas l’information de presse comme l’information audiovisuelle. Face à la télé, nous sommes passifs. Alors que face à un journal papier, nous pouvons passer d’un article à l’autre, sauter des rubriques, etc.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la proposition de loi concernant la désinformation climatique ?
Il y a sept articles à l’heure actuelle. Une première proposition, faite avec l’Institut Rousseau, est examinée par les députés depuis quasiment trois ans, et a donné lieu à un texte finalisé et déposé en novembre dernier. Il reprend la plupart des propositions que nous avions formulées initialement.
Cela comprend, notamment, de faire en sorte que l’état des connaissances scientifiques soit considéré comme un référent à partir duquel on peut déterminer ce qui relève du débat d’idées, d’opinions, et ce qui relève de la désinformation. Ce qui nous permet de considérer qu’un certain nombre d’alertes qui figurent dans les rapports du GIEC notamment, soient considérées comme des points d’ancrage d’un débat d’idées et pas d’un débat de faits.
L’un des articles permet d’inscrire dans la loi l’existence de l’Observatoire des médias sur l’écologie, nous proposons aussi de renforcer les chartes déontologiques au sein des médias, de créer un quota en période électorale, etc.
L’observatoire des médias sur l’écologie est-il un outil accessible à tous ?
Oui, l’Observatoire est accessible en live. Les premières analyses montrent qu’il y a, par exemple, une chute de 30 % de la quantité d’informations liées au dérèglement climatique dans l’audiovisuel français entre 2023 et 2024.
Il est possible de voir quels médias en parlent plus que d’autres, est-ce qu’ils parlent de certaines thématiques, des causes, des constats, des solutions, etc.
L’idée, c’est d’en faire un outil qui serve à la fois aux secteurs d’activité spécialisés, mais aussi aux citoyens. Cela peut également être un outil d’aide aux médias. Les données sont précises, et ainsi les rédactions peuvent s’en servir pour améliorer leur couverture de ces sujets.
Quel rôle devraient avoir, selon Quota Climat, les médias dans la prise de conscience politique ?
Remettre en perspective, questionner. Approfondir ce que disent les responsables politiques ou ce qu’ils ne disent pas sur les questions environnementales. Il y a des questions qui passent complètement sous silence. Pendant les périodes électorales par exemple, lorsque nous avons des débats dédiés aux élections. La part consacrée aux questions environnementales est soit reléguée à la fin, soit vraiment infime. Ou alors avec des questions générales qui ne permettent pas de comprendre la complexité et la spécificité des enjeux environnementaux.
Les solutions existantes sont aussi très peu abordées dans les médias. C’est notamment lié à la mauvaise réputation du journalisme de solution [ndlr : une forme de journalisme qui met en avant, tout en les analysant, des initiatives concrètes permettant de répondre à certaines problématiques. Dans ce cas, la crise environnementale]. Il est souvent considéré comme un journalisme naïf, qui simplifie à outrance les enjeux. Alors qu’en réalité, le journalisme de solution ne simplifie rien. Au contraire, c’est une pratique compliquée, qui s’apprend. Il ne s’agit pas forcément de parler des solutions fonctionnelles, ça peut aussi être des solutions qui ne fonctionnent pas.
Quota Climat appelle à une reconsidération du journalisme de solution comme une pratique journalistique de qualité. Elle permet de mieux traiter ces sujets, de les aborder en profondeur.
Auriez-vous des conseils à donner à nos lecteurs, afin de détecter la désinformation climatique dans les médias ?
La première chose, c’est de considérer que, si une information est sensationnaliste ou nous surprend, c’est peut-être qu’il y a un doute à avoir. La première caractéristique d’une fake news, c’est qu’elle est choc. Elle joue sur la corde sensible, ce qui nous pousse à partager plus facilement. Pour être sûre de ces infos surprenantes, il est conseillé de consulter des sources secondaires.
Nous disposons de nombreux outils aujourd’hui. Par exemple : Climate GPT, une intelligence artificielle qui scanne les rapports du GIEC et qui permet de consulter leurs propos sur certains sujets. Plus généralement, une recherche Google peut nous permettre d’avoir accès à un certain nombre d’informations fact-checkées par des experts. Les organismes de référence en France (l’Ademe, l’OFB, l’INRAE, etc), sont des structures auxquelles nous pouvons accorder notre confiance.