Dans le Nord se dressent encore de grandes collines noires, les terrils. Approchons-nous : y crapahutent des lézards des murailles, des crapauds espagnols et des grillons d’Italie. Baissons les yeux : des chénopodes, des plantes australiennes ou des vergerettes de Sumatra – émigrées d’Amérique du Sud – s’y sont trouvés à leur aise. Les séneçons du Cap, venus d’Afrique du Sud, sont même désormais une espèce invasive.
Si cette faune et cette flore typiques des zones chaudes traînent leurs guêtres dans les Hauts-de-France, c’est que les terrils les ont bien accueillies. Les terrils, ce sont des vestiges de deux siècles d’extraction du charbon : pour avoir accès au précieux combustible, il fallait bien déplacer et remonter des tonnes de matériaux stériles. Résultat : dans l’ex Nord-Pas-de-Calais, la chaîne des terrils s’étire sur plus de cent vingt kilomètres, pour cinq à dix kilomètres de large.
On a demandé à Guillaume Lemoine, référent biodiversité et ingénieur écologue à l’Établissement Public Foncier de nous brosser le portrait de ces étonnants écosystèmes.
Comment se fait-il que les terrils abritent une biodiversité particulière ?
Car il y a un effet de rupture. Dans ce “plat pays”, comme le chantait Brel, se dressent d’immenses bosses, qui créent du relief et donc des pentes. Certaines sont exposées plein sud. En plus, les terrils sont constitués de matériaux noirs, donc ils accumulent de la chaleur. On a alors un fort effet de contraste entre les terres fraîches argileuses et calcaires du Nord, et ces “tas de cailloux” hyper drainants, secs et acides.
Des “îles” apparaissent ainsi, épargnées par les biocides et les activités agricoles, au milieu de paysages très cultivés et densément peuplés.
On y trouve quoi alors sur ces “îles” ?
Eh bien par exemple, le botryche lunaire, typique de l’est de la Méditerranée, de l’inule collante ou de la scrofulaire des chiens.
Déjà, ces îles thermophiles captent toutes les graines dispersées par le vent. Et puis, il y a eu deux guerres mondiales ! Les troupes militaires du Commonwealth ont stationné dans le coin, des soldats d’Inde, des Tropiques, d’Australie… avec des graines dans leurs bagages, dans le foin pour leurs chevaux, ou coincées dans leurs crampons de chaussure. Et chaque communauté a ramené des plantes. Par exemple, on trouve du pavot à opium ou du raifort, que les communautés polonaises cultivaient dans leurs jardins au pied des terrils.
Et puis les mineurs, qui prenaient leurs casse-croûtes au fond des mines, jetaient leurs trognons de pommes dans les berlines dont le contenu était reversé sur les terrils. Celles-ci ont donné des pommiers : on trouve donc d’anciennes variétés de pommiers sur les terrils.
Et les animaux ?
Il y a des lézards des murailles par exemple. Alors que cette espèce est absente de la région, ils ont colonisé les terrils grâce aux voies ferrées reliant les cités minières. On trouve aussi des perdrix grises, des petits gravelots, des alytes accoucheurs… Et des pélodytes ponctués, qui sont des amphibiens franco ibériques. On est à la limite Nord de leur aire mondiale de répartition ! Il y a aussi des criquets à ailes bleues, des grillons d’Italie… Partez du principe que l’ex-région Nord-Pas-de-Calais, c’est quatre millions d’habitants. Depuis l’arrivée des congés payés, il y a presque un siècle, combien de personnes sont parties en vacances dans le Sud ? Combien ont ramené des graines dans leurs bagages, dans leurs tentes, que l’on fait sécher au soleil une fois de retour chez soi ?
Quelle biodiversité ! Les pouvoirs publics ont donc maintenant à cœur de protéger les terrils ?
C’est vrai que ces tas de cailloux n’intéressaient personne. Ils étaient les stigmates de catastrophes, de conditions de travail difficiles marquées par les morts de la silicose… Il fallait faire table rase. La majorité des terrils a été exploitée comme source d’approvisionnement en roches pour faire du remblais routier par exemple. Leur prise en compte et la volonté de les protéger est très récente. Des naturalistes se sont dit, tiens c’est marrant, ces petites îles “méditerranéennes” ! A partir des années 2000, on a commencé à les conserver. Les élus du territoire régional considéraient qu’ils avaient subi l’exploitation des mines pendant deux siècles et demi et qu’il n’était pas question que des entreprises privées rachètent ces sites pour en faire tout et n’importe quoi. Ils ont donc sollicité l’intervention de l’Etablissement public foncier qui a racheté les terrils, les a renaturés – en créant par exemple des clairières, des pentes douces sur les berges des étangs, en mettant en place des pierriers pour amphibiens et reptiles, etc – avant de les revendre aux collectivités. Ces dernières ont également bien travaillé sur la valorisation : nombre de terrils sont désormais des coeurs de nature, des espaces privilégiés ouverts au public.
#bassinminier Les #terrils de la région classés « historiques et pittoresques ». https://t.co/VHtmYrUQ4P pic.twitter.com/a1UG5PzM8K
— LA VDN par La Voix du Nord (@lavoixdunord) 17 janvier 2017
Désormais, les terrils font partie du patrimoine local…
Oui, ce patrimoine est devenu une fierté. Et le bassin minier est désormais inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, qui a labellisé des éléments typiques de l’industrialisation minière, comme les fosses, les piscines et les terrils.
Toutes les photos nous ont été gentiment envoyées par Guillaume Lemoine.
Des visites guidées thématiques des terrils et de la région sont organisées par l’association la Chaine des terrils.