“On ne devrait pas faire payer la montagne”. Hugues Chardonnet a la sagesse de ceux qui savent faire un pas de côté, pour prendre un peu de distance. De hauteur, en l’occurrence. Il continue : “J’ai passé tardivement le diplôme de guide, et quand j’ai exercé un peu le métier, ça m’a frappé dès le départ. Il n’y a que des gens cultivés ou économiquement favorisés qui ont la chance d’être introduits dans ce milieu extra, qui devrait normalement être ouvert, donné…” Pour pallier cette injustice, il a créé l’association 82-4000, à Chamonix – il y a 82 sommets de plus de 4.000 mètres dans les Alpes – “avec quelques copains alpinistes”. Après tout, lui qui est, ou a été, médecin du sport, journaliste, guide de haute-montagne et diacre dans les paroisses briançonnaises pouvait bien s’atteler à la création d’une association.
« La solidarité des montagnards se vit concrètement »
Ainsi, depuis 2012, une cinquantaine de stages ont été organisés et des centaines de jeunes fortement précaires, issus de quartiers populaires de toute la France, ont pu chausser des crampons, se frotter aux cascades de glaces, grignoter une barre céréalière en surplombant Le Monch (4107 m) ou bivouaquer au coeur des Alpes. Concrètement, la structure se rapproche d’associations spécialisées pour organiser ses stages, et notamment d’ATD Quart Monde, dans laquelle Hugues était investi à l’époque. “On a tout de suite eu le soutien de tous les gens de la montagne, des grosses structures comme [la marque] Millet, au petit artisan du coin dans la vallée de Serre-Chevalier”, rajoute ce militant des “loisirs pour tous”. La “solidarité des montagnards” se “vit concrètement” : “Tout part d’une expérience partagée. C’est pour cela qu’il est important que les stagiaires soient parmi nous lors des Rencontres de la montagne”.
L’association, qui compte deux salariés, organise ces rencontres une fois par an, depuis 2016. S’y côtoient professionnels de la montagne, membres d’associations et participants aux stages de 82-4000. Si le but n’est pas de transformer ces derniers en alpinistes chevronnés, certains en ressortent pourtant passionnés. Les organisateurs mettent alors en place un travail d’accompagnement et d’insertion vers l’autonomie en montagne, voire orientent vers un cursus professionnalisant. “Une stagiaire, rencontrée il y a six ans, veut devenir guide de haute montagne, on l’aide à concrétiser son rêve”, illustre-t-il. D’autres, une fois familiarisés avec la montagne “qui a l’aspect revêche mais est accueillante” reviennent pour encadrer de nouveaux stagiaires.
« Je fais l’apologie de la cordée, c’est-à-dire d’avancer au rythme du plus lent”
Hugues Chardonnet croit fermement aux vertus de la montagne : “Faire un sommet, ça devrait être obligatoire”. D’abord, pour “le choc esthétique”, qu’il a lui-même vécu à 12 ans, quand un copain et sa famille l’ont invité pour la première fois dans les Alpes. “Et lorsqu’on vient d’une banlieue crasseuse, mal entretenue, qu’on vit dans le goudron… C’est incroyable. Ils font 500 photos rien que sur la route. La beauté est un élément essentiel”. Il y aussi le “choc éducatif” : “L’obligation de s’encorder, d’être relié à l’autre, si je fais une connerie, tu peux te tuer, si je tombe, tu me retiens… Je fais l’apologie de la cordée, c’est-à-dire d’avancer au rythme du plus lent”.
Un message “fraternel”, voire religieux ? “L’association est complètement laïque. La montagne est spirituelle, au sens où elle te fait vivre, te met debout, te redresse par rapport aux soucis qui te foutent à terre. C’est ça, la spiritualité, que les gens y mettent une divinité ou un esprit derrière, peu importe”, assure le diacre. N’importe quelle association peut donc se rapprocher de 82-4000 pour organiser un stage – ils sont partenaires d’une trentaine de structures sociales, de la Maison de Rodolphe à Lyon au Refuge qui s’occupe de personnes rejetées en raison de leur orientation sexuelle.
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