Une fois nos courses payées, où va notre argent ? Une interrogation qui a posé les bases de la création de l’Abeille, la première monnaie locale française, lancée en janvier 2010 dans le Lot et Garonne. A Villeneuve-sur-Lot, plus précisément.
« Nous avons voulu redonner à la monnaie sa vraie valeur, à savoir l’échange et le lien. Au départ, quand la monnaie a été inventée, ce n’était pas pour spéculer ! Avec l’Abeille, on suit le trajet de notre monnaie, on sait qu’elle va être utilisée localement« , explique Françoise Lenoble, coprésidente d’Agir pour le vivant, association initiatrice et gérante de l’Abeille. « Par exemple, le boulanger achète la farine pour son pain à 4 km de chez lui, au lieu de lui faire parcourir des centaines de km« , continue-t-elle. Avec les Abeilles, vous pouvez régler votre médecin, aller chez le coiffeur ou acheter vos fruits et légumes. Et certains, comme Françoise Lenoble, peuvent ainsi se nourrir à près de 90% en payant par Abeilles. Aujourd’hui, il y a près de 14 000 Abeilles en circulation, utilisées par une centaine de familles.
Une charte éthique pour les entreprises
Comment cette monnaie complémentaire fonctionne-t-elle ? Déjà, elle se présente sous la forme de billets (une Abeille = un euro). Les euros échangés constituent un fonds de garantie et sont placés à la Nef, établissement financier solidaire. Les Abeilles permettent d’acheter des biens et des services auprès des entreprises partenaires, sachant que près de quatre-vingt-dix ont signé la charte à ce jour. Car il ne suffit pas de le vouloir pour intégrer ce réseau, il faut montrer patte blanche en constituant un dossier soumis ensuite à un comité d’agrément. Des critères sont exigés : les productions doivent être de qualité, pas forcément bio, mais qui respectent certains principes. Ainsi, des producteurs qui ont des cultures hors-sol sont exclus.
« Nous sommes attentifs aux relations employeurs/employés, ajoute Françoise Lenoble. Les entreprises doivent être respectueuses de la nature, de l’humain, de l’animal. Ceux qui recherchent un mieux-être au quotidien se tournent vers l’Abeille, et changent de producteurs pour quelqu’un qui partage ces mêmes impératifs« .
Favoriser l’économie réelle
Le but ? Que les citoyens se réapproprient la monnaie, qu’elle ne soit plus une fin en soi, mais un outil. Mais pourquoi l’Abeille n’aurait-elle pas in fine les mêmes travers que l’euro ? « C’est une monnaie fondante, ou franche, c’est à dire qu’elle perd 2% de sa valeur tous les six mois. On n’a aucun intérêt à la mettre sous le matelas« , explique François Lenoble. Ainsi, pour pouvoir utiliser un billet de cinq Abeilles au bout de six mois, vous devez coller une vignette qui représente 2% de sa valeur, soit 10 centimes, et à ce moment là, le billet peut continuer à circuler. « Cela permet l’accélération des échanges. A l’heure actuelle, sur tout l’argent qui circule, seule une infime partie est consacrée à l’économie réelle- se vêtir, se nourrir, se déplacer….« , rappelle-elle. Avant de préciser: « L’Abeille est une monnaie complémentaire, et légale. Nous ne sommes pas contre l’euro, mais pour un usage différent, pour que l’on ne considère plus les citoyens comme des citrons que l’on presse« . Un concept qui séduit : en France, il a fait boule de neige, et sont nés la Bogue et les Lucioles en Ardèche, la Mesure à Romans dans la Drôme, l’Occitan à Pézenas, le Sol violette à Toulouse…