Dans un article pour le média AOC, le philosophe Bruno Latour s’interroge sur le confinement et pose une question toute simple : à quoi tenons-nous ? Ainsi, propose-t-il un questionnaire, qui n’a pas valeur de sondage, mais qui est plutôt un support poétique et politique à l’auto-questionnement. Première question : « Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?»
Il n’y a pas qu’un philosophe pour se poser de telles questions. Camille, la trentaine, tapissière d’ameublement à Saint-Ouen (93) aimerait elle-aussi, que, collectivement, on « revienne à l’essentiel », même si « la tâche paraît impossible», qu’« on consomme mieux et moins, qu’on relocalise la production… On se rend compte qu’on n’a pas besoin de grand-chose pour vivre, pas besoin de déco dernier cri ou de cinq nouveaux t-shirts Zara.» Mathias, dans les Hautes-Alpes (05), se réjouit aussi que « cette crise va entraîner un regain d’activité dans le domaine du care [le soin], pour refaire attention aux autres, aux plus vulnérables. Les initiatives solidaires ont fleuri durant cette pandémie, et on ne peut que s’en féliciter et croire à un avenir meilleur ».
D’un point de vue plus personnel, nous sommes nombreuses et nombreux à réfléchir à notre quotidien, à nous rendre compte que certaines choses qu’on pensait primordiales ne le sont pas tant. Ainsi, Sophie, Parisienne, explique : « Comme je refuse de me faire livrer, ça m’a fait me rendre compte que certains achats qui me semblaient primordiaux ne le sont finalement pas, comme mes produits de beauté !» Elle s’est aussi rendue compte qu’elle allait « accepter plus volontiers les moments mous et vides de la vie, sans toujours vouloir les rentabiliser, à accepter l’ennui et la lenteur ».
Coralie, 24 ans, travaille dans le secteur de l’énergie renouvelable et dit un peu la même chose : « Cela donne de la valeur au temps improductif. Hors confinement, on avait une espèce d’obligation à rencontrer des amis, à aller au cinéma, faire des dîners. On est pris dans une espèce de mouvement constant. Et là, on est coincé. C’est assez agréable, en opposition avec la notion de croissance.»
«Sans moi, la Terre continue. C’est ça qui me turlupine le plus»
La pandémie peut aussi avoir des conséquences sur le rapport que l’on entretient avec nos proches. Certains parlent plus, se confient, échangent, d’autres privilégient les relations fortes et mettent de côté, en jachère, quelques amitiés. Sophie vit avec sa compagne loin de ses parents : « Je parle ou j’écris à mes amies tous les jours ou presque, alors que je ne le faisais pas aussi fréquemment avant. Et j’appelle ma grand-mère et ma mère très souvent, parce qu’elles sont seules. »
Célibataire, Camille vit seule dans son appartement et le confinement « a confirmé que je voulais être entourée d’une personne que j’aime et que la solitude me pesait».
« J’ai aussi réfléchi à où je vis : j’adore la vie sociale, être dehors, dans des bars, j’ai une vraie appétence pour la vie urbaine. Plus que jamais, j’aime ce que la ville apporte de rencontres, de possibilités, de bruits… Il y a mille vies autour, mille possibles, et ça me manque.»
Plus prosaïquement, elle a découvert le yoga, un rituel désormais quotidien. « Une révélation ! C’est bénéfique de s’accorder ce temps là pour soi, surtout qu’il n’y a besoin de rien : un tapis et c’est tout.»
La pandémie peut aussi provoquer des questions sur la vie pro : « Je me suis vu classé dans les rangs des « inutiles » », dit Mathias, contrairement aux caissiers, éboueurs, soignantes… « Sans moi, la Terre continue et continuera allègrement de tourner. Il faut avouer que c’est ça qui me turlupine le plus. Cette pandémie va alimenter cette quête de sens.» Lui qui travaille dans le domaine du tourisme durable a pourtant un métier important, qui aide au développement économique et touristique des territoires de montagne. « Vu ce qu’on vit, l’utilité de cette tâche va s’en faire plus que ressentir, finalement ».
Et vous, est-ce que le confinement fait naître des questions en vous ? Des envies de changements ?
Le confinement change ma vision du télétravail. Je pensais avoir plein de temps pour moi. Mais j’ai un repas supplémentaire quotidien pour toute la famille à gérer. Plus la continuité pédagogique…
Par contre, oui, chouette, on passe plus de temps en famille.
Merci d’avoir partagé votre expérience avec nous Florianne.