Il y a comme une sinistre répétition. Où se trouvent les décharges toxiques ? Dans les quartiers pauvres où vivent des populations racisées. Où se trouvent les aires d’accueil pour les gens du voyage ? Près des autoroutes, des aéroports, des déchetteries. Pourquoi le chlordécone, un herbicide cancérigène, a pollué pour des décennies les terres antillaises, en toute impunité ? La réponse : le « racisme environnemental ».
C’est dans les années 1980, aux États-Unis, que s’est développée la notion. Et ce ne sont pas les écologistes que l’on doit remercier : elle émane du mouvement pour les droits civiques des afro-américains. Le constat était que les activités industrielles polluantes sont installées près des quartiers pauvres, mais tout particulièrement dans les quartiers pauvres où vivent des minorités racialisées (noires, amérindiennes, etc). Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de pauvreté.
« Quel monde voulons-nous ? »
Une étude (en anglais) publiée en 2003 dans la sérieuse revue Nature calculait ainsi que les enfants non blancs étasuniens étaient trois fois plus nombreux que les blancs à vivre dans des zones soumises à une forte pollution automobile. En France, le problème est le même. Les chercheurs Lucie Laurian et Richard Funderburg ont publié une étude en 2014 sur la localisation des incinérateurs en France depuis les années 1960. Bilan : pour chaque pourcentage supplémentaire d’immigrés présents dans une ville, la probabilité de trouver un incinérateur augmente de 29%.
Autre exemple : l’explosion de l’usine Lubrizol, à Rouen. Est-ce un hasard si les plus proches riverains de l’accident étaient les habitants de l’aire d’accueil des « gens du voyage » de Petit-Quevilly ? C’est ce qu’a pointé le juriste William Acker, qui a reçu le prix du livre d’écologie politique 2022 pour Où sont les « gens du voyage » ? Il a décidé de recenser, département par département, la localisation des aires et leur proximité avec des activités polluantes.
Export des déchets
Mais ce lien entre inégalités raciales et environnementales, cette double peine, n’est pas visible seulement à l’échelle d’un quartier ou d’un pays. Il existe aussi à l’échelle mondiale. Prenez le Ghana. Il est le réceptacle de tonnes de vêtements usagés venus d’Occident. À tel point que des ONG, comme l’Or Foundation, parle de « waste colonialism” ou “colonialisme des déchets”. Chaque semaine, dans ce pays devenu “poubelle textile”, arrivent par conteneurs environ 15 millions d’articles de fast fashion de seconde main.
En France, la notion de racisme environnemental commence aussi à infuser. Et c’est crucial. Car comme le dit le chercheur Malcom Ferdinand, auteur d’Une écologie décoloniale, dans la revue Mouvements : « La crise écologique n’est pas une crise environnementale et ne se résoudra pas en protégeant la nature. L’écologie est une question de monde. Quel monde voulons-nous ? Quel monde pouvons-nous espérer ? »