À 29 ans, Victoria Mandefield a ancré ses choix de vie sur la voie de la solidarité. En 2016, elle a fondé Soliguide, un site et une application permettant de réunir toutes les informations essentielles pour les personnes sans abri ou subissant la précarité. Depuis, le site a été adapté aux spécificités locales de 30 départements et a été visité 1,8 million de fois en 2022. Elle en raconte la genèse et les impacts à Mon Quotidien Autrement.
Qu’est-ce qui vous a amenée à fonder Soliguide ?
J’étais étudiante en école d’ingénieur à ce moment-là. Originaire des Vosges, je suis arrivée à Paris en 2016 pour continuer mes études et j’ai été choquée par la précarité rencontrée sur place. J’ai eu envie de m’engager et j’ai trouvé facilement une manière de m’investir via des associations qui font des maraudes. Je me suis retrouvée à orienter les personnes que je rencontrais vers différents services. Parfois, ce n’était pas évident, parce que je n’avais pas les connaissances. Ou alors parce que je ne savais pas que la distribution alimentaire que je connaissais pouvait être fermée en été. J’ai donc eu envie de créer quelque chose qui permettent d’orienter plus facilement les personnes en situation de précarité.
Comment fonctionne Soliguide ?
Soliguide est à la fois accessible sur un site Internet et via une application. La plupart des personnes en situation de précarité ont malgré tout un portable aujourd’hui. Le site réunit des informations aussi bien sur les distributions alimentaires que sur les solutions d’hébergement, les boutiques solidaires ou les permanences de conseils juridiques. Soliguide a d’ailleurs été co-construit avec les personnes dans la rue, pour leur demander quelles étaient leurs besoins, les catégories qu’ils souhaitaient voir sur le site, etc. Le site est aussi très consulté par les travailleurs sociaux.
Comment Soliguide s’est fait connaître ?
L’un des ADN de Soliguide, c’est la co-construction. Donc ça s’est fait plutôt de manière organique avec les premiers concernés et les structures ou associations qui les accompagnent. Au début, on s’est déployé à Paris, à Bordeaux, puis ça a fait tache d’huile. Par exemple, le SIAO [Service intégré d’accueil et d’orientation – sous la direction des préfectures] de Seine-Saint-Denis nous a contactés parce qu’ils nous ont dit qu’ils avaient besoin d’un tel service. On a fini par développer une méthodologie pour se déployer sur différents territoires de façon précise et pour que d’autres acteurs puissent s’emparer de Soliguide eux-mêmes.
Comment parvenez-vous à financer Soliguide ?
Soliguide dépend de Solinum, l’association que j’ai fondée l’année du lancement pour porter le projet. C’est une association à but non lucratif, donc on mise sur la réussite de notre impact social pour trouver des financements. Je considère que si quelque chose a un vrai impact social, on trouve toujours un modèle économique. En ce qui nous concerne, nous sommes financés par des collectivités et services déconcentrés de l’État : conseils départementaux, CCAS [Centres communaux d’action sociale], DDETS [Directions départementales de l’Emploi, du Travail et des Solidarités]. Ainsi que par des fondations privées pour des projets d’innovation ou des nouveautés techniques.
Quel bilan tirez-vous de vos huit années d’activité ?
Nous sommes très passionnés par l’évaluation de l’impact social, donc on regarde attentivement si ce que l’on propose est vraiment utile. On vient de faire un bilan avec un acteur externe, le Laboratoire d’évaluation et de mesure d’impact social et environnemental de l’Essec [une école de commerce]. Résultat : pour chaque euro investi par Soliguide, 1,93 euro est créé pour la société par les coûts évités ou en création de valeurs pour les personnes concernées.
Quelles autres activités développez-vous ?
Avec l’association, nous avons aussi mis en place un outil de démocratisation de l’hébergement citoyen. On partage aux différents acteurs de l’aide sociale une boîte à outil pour gérer la logistique de ces hébergements chez l’habitant. Nous développons aussi en ce moment un projet de partage de données sur la solidarité. On s’est rendu compte qu’on en avait énormément qui pourraient être utiles pour ne pas faire de politiques publiques au doigt mouillé, avec des données objectives du terrain. Ce qui pourrait permettre d’être plus réactif.
N’éprouvez-vous pas de la frustration parfois face à la lutte contre la pauvreté qui paraît infinie ?
J’y crois toujours. Pour moi, c’est possible de résorber la pauvreté, c’est une affaire de choix individuels et collectifs. Il faut juste qu’on y aille, qu’on se coordonne et qu’on y mette les moyens. Quand on voit qu’en 2023 on essaye d’aller sur Mars alors que des gens sont encore à la rue, on se dit que c’est possible de résoudre le problème de la pauvreté.