Consommons-nous trop de médicaments ? Jusqu’au début des années 2000, les Français constituaient les premiers consommateurs de médicaments en Europe. Une enquête de 2005 montrait qu’en France, 90 % des consultations chez un médecin généraliste se concluaient par la prescription d’un médicament. Contre 72.3 % en Allemagne et 43.2 % aux Pays-Bas. Aujourd’hui, la France n’est plus le leader incontesté du gobage de pilules. Certains de nos voisins européens nous ont rattrapés. Mais en 2019, nous consommions toujours en moyenne pour 486 euros de médicaments par an.
Et cette forte consommation n’est pas sans conséquence sur l’environnement et le climat. La consommation de médicaments émet en effet environ 15.6 MtCO2e/an (sur l’ensemble de son cycle de vie), soit près de 35 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé. C’est même le premier poste émetteur. Si on lui ajoute les dispositifs médicaux, on arrive à près de 55 % des rejets du secteur.
Moins de médicaments, plus de prévention
Réduire cette consommation est possible. Cela passe notamment par le développement de la prévention, comme le souligne le think tank The Shift Project, dans son rapport, Décarboner la santé pour soigner durablement. Il faut « maîtriser la demande en agissant en amont par le développement de la prévention et la promotion de la santé », y est-il expliqué. Pour cela, l’organisme recommande « d’impliquer des professionnels et sociétés savantes dans l’adaptation des pratiques moins consommatrices d’équipements et matériels médicaux ». Il encourage également la réflexion autour de la pertinence des soins. « Plusieurs rapports disent que 20 % des actes en France ne sont pas totalement justifiés ou pertinents, explique Patrick Pessaux, chef de service en chirurgie au CHRU de Strasbourg et président du collectif écoresponsabilité en santé (Ceres), dans le cadre d’une table-ronde organisée par The Shift Project. On se rend compte qu’il y a des actes qui sont réalisés aujourd’hui, qui nécessiteraient une évaluation de la qualité des soins. » Pour Ghislaine Sicre, présidente du syndicat Convergence infirmière, il faut davantage sensibiliser les professionnels sur ces questions. « Ils ne le sont pas forcément, explique-t-elle à l’occasion de cette même table-ronde organisée par The Shift Project. Cela peut se faire via le développement de la formation professionnelle continue ».
The Shift Project met aussi en avant la possibilité pour le médecin de mieux optimiser la prescription des médicaments. Les pharmacies pourraient également acquérir la possibilité des proposer des médicaments à l’unité plutôt que par boîte. Ou encore d’adapter la délivrance au besoin réel du patient.
Réduire le gaspillage de médicaments
Une très large part des médicaments prescrits est en réalité gaspillée. En France, chaque année, ce sont plusieurs tonnes de médicaments non utilisés qui sont collectées par l’éco-organisme Cyclamed. En 2018, plus de dix tonnes ont ainsi été incinérées. Et il ne s’agit là que des déchets générés par les particuliers, auxquels il faut donc ajouter les volumes issus des établissements sanitaires et médico-sociaux. « Nous générons beaucoup de gaspillage, confirme Ghislaine Sicre. Dans les cabinets médicaux, des sets à pansements, à sondage, à perfusion, sont gaspillés tous les jours. La semaine dernière encore, l’hôpital a prescrit à un de mes patients trois types de pansements pour une même plaie. C’est aberrant. C’est du gaspillage. »
Du gaspillage qui concerne les dispositifs médicaux, souvent à usage unique et suremballés, plus encore que les médicaments. Certains établissements commencent à réintroduire du matériel réutilisable, qui génère moins de déchets, mais la crise sanitaire a remis sur le devant de la scène les dispositifs à usage unique. « L’impulsion doit venir des pouvoirs publics qui, en complément, doivent soutenir le développement d’entreprises françaises qui conçoivent, fabriquent, distribuent, nettoient et recyclent en circuit court les dispositifs médicaux », souligne The Shift Project.
Décarboner la santé
Il existe d’autres mesures capables de contribuer à la décarbonation du secteur de la santé :
- Conditionner la délivrance ou le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament à la publication du contenu carbone du médicament ;
- Mettre en place une politique d’achat éco-responsable et rendre obligatoire l’empreinte carbone par produit dans les appels d’offres ;
- Relocaliser partiellement certaines molécules essentielles à la fabrication du médicament en Europe. À ce jour, environ 80 % des principes actifs contenus dans les médicaments consommés en France sont produits en Chine. Et depuis 10 ans, le nombre de signalements de ruptures ou de tensions d’approvisionnement pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) ont été multipliés par 10.
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