Etienne Tricaud, architecte ingénieur, président du groupe AREP, la filiale de la SNCF groupe d’architectes d’urbanisme et d’ingénieurs, nous explique comment les gares sont des espaces urbains qui ont énormément évolué ces dernières décennies
De la grandeur des gares… à leur misère…
Elles sont nées à la fin du 19e siècle avec la construction du chemin de fer et ont connu leur apogée vers 1900 : je pense à la gare de Lyon avec son grand campanile par exemple. On peut y voir une espèce d’autosatisfaction des compagnies ferroviaires qui les construisaient, mais aussi de la société au sens large, sous l’influence d’une visée positiviste, de l’importance du progrès et de l’industrie. D’ailleurs, sur la facade de la gare de Lyon, on trouve de grandes figures féminines industrielles, la Mécanique, la Navigation, la Vapeur. Les trains sont des outils de profondes transformations de la vision sociétale du progrès, de l’espace et du temps : les gares expriment tout ça. L’arrivée du train au coeur de la ville, c’est une des marques les plus fortes du progrès. Après, il y a eu tout le reste, le métro, la voiture etc. Peu à peu, la grandeur se perd, en même temps que la position du train dans la société décline durant le 20e siècle. Le train est alors considéré comme un moyen de transport pour les pauvres ou les militaires, comme quelque chose de très populaire et non porteur de modernité. Il se dégrade et est souvent en piteux état. Les gares aussi deviennent des lieux délaissés.
… puis renaissance grâce au TGV
Le tournant est pris dans les années 80 quand le TGV arrive, considéré par son créateur comme un « avion sans aile ». Il redonne ses lettres de noblesse au train, en redevant un mode de transport moderne ou du moins percu comme tel, et entraîne avec lui la gare. Il y a toute une symbolique du territoire qui se met en place. Les gares renaissent donc, celles du réseau Atlantique d’abord puis le Nord, avec la desserte de Lille. Il se passe quelque chose de très important. Les gares restent dans une fonction principale de point d’accès au réseau, avec cette double appartenance au réseau et au territoire, cette articulation entre deux mondes. La société comprend que l’arrivée du TGV peut être un levier de développement économique. Maire de Lille, Pierre Mauroy créé Euralille : il décide d’utiliser l’energie du TGV, qui est porteur économiquement. La transformation de la gare devient un des leviers de la transformation de la ville. Regardez, avant, la gare Saint Charles à Marseille était un lieu sordide. Elle a été complètement transformée et aujourd’hui elle soude différents quartiers entre eux. L’idée : intégrer la gare dans la ville mais aussi la ville dans la gare.
Les nouvelles formes de mobilité
En parallèle, on observe un autre phénomène : la transformation de la mobilité. Si le train est le premier mode de transport mécanisé, beaucoup d’autres suivent, comme le métro ou les tramways. La gare est le lieu de croisement de toutes ces mobiilités. Sa forme en est transformée, quand on la réinvente dans les années 90, on prend en compte que ce n’est plus simplement un endroit où l’on prend le train; on réinvente un espace piéton en même temps qu’on fait renaître le lieu. Le rapport à la mobilité se transforme. Ce n’est pas qu’on invente de nouvelles formes de transports, mais qu’on transforme le rapport à ceux qui existent déjà, avec le Vélib ou les Autolib par exemple. Les gens ont besoin d’avoir un service « multimodal » : ils prennent en compte le temps, le confort. Pour un trajet donné, ils peuvent donc mélanger deux heures de train puis louer une voiture et finir en tram. D’autant que les temps de déplacement ne sont plus perçus de la même manière grâce aux portables et aux écrans. Ces laps de temps peuvent avoir une utilité et ne plus être forcément des parenthèses. Les gens s’attendent à ce que leurs déplacements soient riches. La mobilité devient un mode de vie, on vit en mouvement. Du coup, les gares s’adaptent : ce sont des lieux piétons, avec des services, des commerces. Typiquement, dans la gare Saint-Lazare, on a complètement revu les circulations piétonnes depuis le métro, le bus et le RER. On a mis sur le trajet 80 boutiques qui facilitent la vie quotidienne. La gare reste une gare à trains mais devient aussi un pôle de services.
La gare peut être également le germe de reconquête urbaine : des quartiers nouveaux se développent autour des gares, même lorsqu’elles sont hors de la ville comme à Avignon. Des quartiers qui étaient auparavant très mal famés, sont aujourd’hui au coeur des stratégies de reconquêtes urbaines.
Une gare écolo, c’est quoi?
La gare est écologique à plusieurs niveaux. Elle facilite l’usage des transports en commun, instruments de la ville durable. Puis, il y a le bâtiment écolo en tant que tel. Comme architecte, on est porté à travailler là-dessus sur chaque projet : on réfléchit à la durée des matériaux, au côté énergétique, à la ventilation naturelle etc… Il y a des projets pilotes, je pense, par exemple, à une petite gare à Bellegarde-sur-Valserine dans la région Rhône-Alpes. Un dispositif astucieux a été mis en place : un double dôme, opaque et transparent, efficace hiver comme été. Il s’agit d’un chauffage naturel du soleil en hiver, l’air entre les deux dômes étant réinjecté dans le hall de gare. L’été, selon le principe de « l’air chaud monte », il y a un effet d’aspiration qui extrait l’air du hall lorsqu’on ouvre les dômes, et celui-ci est remplacé par de l’air provenant d’un puits canadien, c’est à dire en récupérant l’air frais du sol. Les architectes ont aussi mis en place des solutions plus classiques, comme le photovoltaïque.
La France est-elle en retard ?
Le rapport Keller sur les gares, rendu en 2009, disait qu’il fallait investir massivement. C’est vrai, les besoins sont énormes, il y a quelque chose à rattraper, tout en voyant qu’à l’inverse, la France a une avance sur la conception des gares depuis la révolution des années 90, nous avons été un peu précurseurs. Aujourd’hui, on arrive à saturation, il y a des problèmes de fréquentation, qu’il s’agisse du TGV dont le trafic croit depuis qu’on prolonge des lignes, mais cela concerne aussi le RER qui connaît des engorgements.