« Work hard, have fun, make history » (travaillez dur, amusez-vous, entrez dans l’histoire) ! Avec un slogan pareil, on ne peut que rêver d’être embauché chez Amazon ! Ou c’est du moins ce qu’on s’imagine. En pratique, bosser pour le géant du net est loin du conte de fée. On a souvent du mal à réaliser que le coeur de métier du groupe, ce n’est pas la gestion d’un site web, mais celle de millions et millions de commandes dans d’immenses entrepôts. Pour savoir vraiment ce qui s’y passe, des journalistes se sont infiltrés comme salariés dans l’entreprise, et ils ont témoigné des conditions de travail peu idylliques des employés.
« Le préparateur de commandes, c’est le mineur d’il y a trente ans »
En France, le journaliste Jean-Baptiste Malet y a travaillé il y a quelques années, juste avant Noël. Dans son livre En Amazonie, Infiltré dans le « meilleur des mondes (Editions Fayard), il raconte avoir marché plus de 20 km par nuit. Il explique aussi que dans les entrepôts, les salariés sont en permanence surveillés via le scanner avec lequel ils travaillent. La machine indique la position des travailleurs, leur rythme de travail, leur productivité, enregistrés à chaque instant. Un reporter de la BBC ayant fait une expérience similaire en Grande-Bretagne relate avoir eu comme objectif de scanner cent dix objets par heure, soit près de deux par minute. D’un seul coup, Amazon fait moins rêver.
Mais la situation est en fait similaire dans toutes les entreprises du secteur de la logistique. « Le préparateur de commandes, c’est le mineur d’il y a trente ans », estime David Gaborieau. Pendant sept années, le sociologue a travaillé, deux mois par an, comme préparateur sur des plates-formes logistiques. Ce qu’il dénonce en premier lieu, c’est le recours à la commande vocale, utilisée dans 70 % des entrepôts de la grande distribution alimentaire. Un système qui permet, selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) d’accroître la productivité de 10 % à 15 %. Mais qui implique par contre une intensification de l’encadrement, une perte d’autonomie et une limitation des liens sociaux.
Les méfaits de la commande vocale
La commande vocale, qu’est-ce que c’est exactement ? Il s’agit d’un « talkman » : un petit boîtier informatique, un casque et un micro. Une voix annonce aux préparateurs quel colis saisir. « On valide, on donne le code détrompeur (un numéro affiché devant le colis). On fait le tour de l’entrepôt en prenant les articles demandés et on les met sur la palette. Le jeu, c’est de les faire tenir en équilibre. Ensuite, on « filme » la palette – l’emballer avec un film étirable –, on la dépose sur un quai, puis on recommence », raconte David Gaborieau, dans le Monde. Et cela pendant sept ou huit heures. Des gestes répétitifs, sans aucune interaction sociale. Le travail à la chaîne des temps modernes ! Selon certaines études, depuis l’introduction de la commande vocale, les accidents du travail ont fortement augmenté dans la logistique, dépassant parfois le niveau du BTP, qui détient habituellement ce sinistre record.
Le nouveau taylorisme ?
Et même dans les entreprises, où l’on est si fier d’avoir introduit des techniques de travail modernes, comme le « lean », le spectre du travail à la chaîne continue à rôder. Cette méthode de management, qui aide à accroître la productivité, vise à réduire la surproduction, les attentes, le transport, les étapes inutiles, les stocks, les mouvements inutiles et les retouches. Bref, toutes les activités non rentables.
« Avant on s’occupait d’une pièce du début à la fin. On gérait les soudures, puis on emmenait la pièce à la chaudronnerie et on terminait le travail. Maintenant on fait de plus en plus de tâches répétitives et les cadences s’accélèrent », raconte sur Rue89 Pierre, chaudronnier-soudeur chez Airbus, qui a adopté le lean manufacturing. Pour Antoine Valeyre, chercheur au Centre étude de l’emploi, qui a étudié ces nouvelles organisations du travail, « le lean est [souvent] au moins aussi nocif que le taylorisme ». On en viendrait presque à regretter Ford !